Informer sans travestir ni déformer, c'est notre combat !
8 Janvier 2017
-19- Quels genres de sujets, abordez-vous avec vos interlocuteurs canadiens, de tous bords, en adéquation avec vos ambitions politiques futures ?
T.M.N-Il y a beaucoup d'enjeux qui retiennent mon attention. L'éducation, la santé, la corruption et la condition féminine me motivent principalement à m'engager plus sérieusement. Je discute aussi évidement de l'accès à l'eau potable, du coût de la vie et de l'insécurité. Je suis agréablement surpris de voir que les gens politiques et d'affaires sont ouverts et disposés à t'écouter.
20-Les Canadiens vous prennent-ils aux sérieux lorsque vous leur parlez du Tchad et de ce que vous envisagez de faire dans l’avenir en tant qu’acteur politique ?
T.M.N- Ils sont curieux et sont disposés à m'écouter et m'aider au besoin.
21-Vivez-vous en parfaite harmonie avec les compatriotes tchadiens de Canada en général et ceux de Montréal en particulier, sans distinction aucune? Que faites-vous d’ailleurs concrètement, pour la communauté tchadienne de Montréal, vous qui voudriez apporter une plus-value dans le paysage politique du Tchad ?
T.M.N-Les compatriotes tchadiens sont très sympathiques. On se sent très proches quand on se rencontre peu importe nos différentes visions sur la politique au Tchad. Je suis un membre dans le bureau exécutif de l'Association des Ressortissants Tchadiens au Québec (ARTQ). Nous sommes très actifs dans l'organisation des évènements de réjouissance et aussi présents quand un malheur frappe une ou un compatriote. Nous partageons des moments de joie et de peine. C'est un privilège de travailler dans cette association au service de la communauté tchadienne.
22- Vous êtes certainement retourné au bercail après plusieurs années d’absence et de vie à l’étranger. Quels constats, avez-vous fait ? Et qu’en est-il des réactions
T.M.N-Il y a du travail à faire sur le plan politique, social et économique. J'ai rencontré plusieurs ministres qui ne m'impressionnent pas du tout. La plupart n’avait pas accès à l'internet dans leur bureau y compris le ministre de la communication. Je n'ai toujours pas compris comment ils travaillent. Beaucoup passent leur temps à recevoir des gens. J'étais invité par un ministre à assister à la fête de l'indépendance en 2014 à la Présidence en présence d’Idriss Deby. J'ai ressenti la nausée quand les gens ont fait la louange du président et de sa femme. La chanson « Joyeux Anniversaire » a été chantée avec le nom du président au lieu du nom du Tchad. Il était si content d'écouter ses louanges. J'ai été choqué de voir une telle admiration pour un dictateur, voleur et meurtrier. Socialement, il y a avait un certain progrès mais on dirait que la vie se limite à N'Djamena. À l'extérieur de la capitale, la misère est frappante. Les jeunes se convergent presque tous vers N'Djamena à la recherche de travail. C'est un grand problème et le gouvernement n'arrive pas à mettre sur pied un plan national. Sur le plan économique, il n'y a pas une vision à long terme. Les gens vivent au jour le jour sans un réel souci du lendemain.
23-Avant cette crise financière, les autorités considèrent N’Djamena, comme la « vitrine de l’Afrique » Est-ce un fantasme ou une réalité, selon vous ?
T.M.N- On ne les empêche pas de rêver. Les autorités tchadiennes sont souvent ridicules. Le fait d'avoir asphalté les rues de N'Djamena leur suffit pour se féliciter alors que d'autres pays d'Afrique foncent vers le futur et le développement à toute allure. Si on sort du pays, la piètre figure du Tchad nous frappe de plein fouet. C'est une des seules armes qui reste au gouvernement actuel: fermer les yeux de la population sur ce qui se fait ailleurs, ce qui est possible (notamment en coupant l'accès à internet et aux médias sociaux). Les autorités sont trop occupées à protéger leur acquis pour réfléchir à l'avenir du Tchad et à gouverner. Ils sont en train de sacrifier une génération complète en les privant de ressources de base, d'éducation, de sécurité et d'ouverture sur le monde. Ce qui est devenu normal au Tchad serait criminel ailleurs.
24- Vous affirmez publiquement sur les réseaux sociaux que la démocratie ou la vie politique du Ghana vous a réellement marqué. Le rêvez-vous un jour pour le Tchad ou bien estimez-vous que c’est difficile à réaliser pour un pays comme le votre, composé de plus de 200 ethnies, mal préparées à vivre ensemble en harmonie ?
T.M.N-Je rêve toujours que le Tchad aspire à la vraie démocratie comme le Ghana. La diversité est un atout que nous pouvons exploiter. Le fait d'avoir plusieurs ethnies n'est pas un obstacle. Il suffit de regarder ce que nous avons en commun. Nous voulons tous vivre dignement, dans la sécurité, et offrir le meilleur à nos enfants. Quand un état de droit avec des lois justes est mis en place, chaque ethnie voit ses droits et libertés protégés par un état laïc sans parti pris. Les conflits deviennent plus rares et les raisons d'établir sa domination sur le peuple voisin disparaissent. La division actuelle est une création du régime qui lui sert grandement en servant de distraction. Les réels enjeux sont ignorés et la population divisée est affaiblie pour affronter le régime actuel. Diviser pour mieux régner c'est exactement ce que ce régime fait. Les populations commencent à comprendre leur jeu. Nous avons tout à gagner à vivre ensemble avec nos différentes cultures. Les États-Unis sont un regroupement de toutes les ethnies du monde et ils continuent à ce jour à prospérer grâce aux principes qui les unissent.
25- Le manque de nationalisme et l’analphabétisme ne sont-ils pas finalement, les vrais problèmes de cette nation tchadienne ?
T.M.N-L'éducation est la base du fondement d'un pays qui veut se développer. Éduquons les enfants de notre pays sans égard à leurs croyances ou ethnies et nous verrons le pays se développer comme jamais avant. Ces jeunes connaîtront leurs droits, seront en communication constante avec le reste du monde et poursuivront les opportunités qui s'offrent à eux. Les caractéristiques ethniques et religieuses demeureront un aspect de l'identité multiple d'un individu et ne seront plus une barrière. Le nationalisme pour son pays vient d'aspirations et de valeurs communes et les croyances religieuses n'en font pas partie.
26- Imaginez un jour que Dieu et les Tchadiens vous remettent la clé du pouvoir dans vos mains. Quelles seront vos premières décisions à prendre pour redresser un pays totalement abîmé ?
T.M.N-Quand tout est à refaire, que les institutions doivent être mises en place une par une, que des générations entières doivent être formées, soit à l'école ou pour le travail et que les besoins criants sont partout, il est impératif de prioriser. Pour moi, la première étape est claire: celle de reconstruire le pays, ses infrastructures, ses routes, ses écoles, ses hôpitaux. Cela permet d'embaucher et de fournir un salaire aux jeunes adultes, parfois parents, parfois sous-éduqués et d'établir un terrain propice au développement. Avant même d'espérer des investissements étrangers, nous devrons assurer les services essentiels (eau potable, électricité, infrastructure, connexion internet). La deuxième priorité est de s'assurer que tous les enfants du Tchad, sans égard à leur sexe ou leur ethnie, soient assis sur les bancs d'école cinq jours par semaine, sans exception possible. Le système éducatif doit certes être repensé et les enseignants mieux formés mais dans l'immédiat, les enfants doivent être sortis de la rue et regroupés dans une classe avec les enfants de leur village. Troisièmement, la sécurité et la stabilité du pays, surtout après un changement politique important, passe par une réforme complète des forces policières et militaires afin que ceux-ci soient maintenant au service de la population. Le gouvernement tout entier devra être nettoyé de ses corrompus mais les agents armés seront les premiers visés par ce grand ménage et ne seront plus jamais au dessus de la loi. La liste des changements à implanter dans les premiers mois est longue mais c'est mon opinion que sans ces trois premiers points, les réformes suivantes ne pourront être solides et durer.
27- Plus de trente ans, le Tchad est dirigé par des présidents musulmans et originaires du grand nord. Pour un chrétien comme vous, d’où vient cet acharnement de mener le combat politique et de vouloir concourir le pouvoir ?
T.M.N-Je ne cherche pas à créer un parti politique. Si un jour je m'engage dans la candidature à l'élection présidentielle, je serai un candidat sans parti, un candidat indépendant. Ma conscience ne sera pas tranquille de ne rien faire face à la situation que traverse le Tchad. Je regarde les enfants du Tchad et je vois mes propres enfants. Je veux plus tard pouvoir les regarder dans les yeux et qu'ils sachent que j'ai essayé. Je suis du sud du Tchad mais j'ai aussi une grande famille Gorane au nord qui est musulmane. La division chrétien-musulman est archaïque et inutile. Je suis avec tous les Tchadiens qui aspirent à un futur meilleur.
28- A l’époque, vous dénoncez les nombreuses difficultés de la femme tchadienne, celles de la jeunesse, l’inefficacité des partis politiques de l’opposition, du manque des soins médicaux appropriés, des difficultés d’artistes à vivre de leur métier, des conditions insupportables de travail des journalistes, du niveau scolaire très bas des élèves et d’étudiants. Etes-vous toujours préoccupé par ces différents sujets ?
T.M.N- Ces sujets m'importent toujours et je les défendrai sans relâche. Cependant, au fil des discussions et des réflexions, j'ai compris que ces luttes sont souvent limitées dans leur succès par un obstacle de taille, un frein majeur à tout progrès: un gouvernement corrompu qui s'attache au pouvoir et pour qui chacune des luttes mentionnées ci-haut sont des dérangements, des petits feux à éteindre (avec les armes au besoin) afin de mieux régner. C'est pourquoi mon combat principal dorénavant vise le départ du président actuel et l'instauration de piliers démocratiques solides. Ceci permettra à tous ceux qui travaillent à l'avancement du pays de mieux faire leur travail et de recevoir l'appui et l'aide d'un nouveau gouvernement élu qui a à cœur le futur de la population tchadienne.
29-Que vous reste-t-il à adresser comme message au peuple tchadien et au peuple canadien?
T.M.N-Peuple tchadien, je vous demande de ne pas baisser les bras. Notre liberté dépend de notre courage et de notre volonté. Seul l'unité, l'organisation, la mobilisation et l'action peuvent nous aider à nous débarrasser de ce régime dictatorial. Personne ne viendra d'ailleurs nous libérer. Ensemble, nous pouvons changer notre histoire. Aux amis(es) du Canada, je vous demande de soutenir le peuple tchadien, car nous avons la même valeur, la valeur humaine.