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REGARDS D'AFRICAINS DE FRANCE

Informer sans travestir ni déformer, c'est notre combat !

Tchad:"C’est un grand défi pour le gouvernement. Parce que tant on n’aura pas enrayé la corruption et les détournements, on prendrait mille mesures, mais on sera toujours en crise",déclare Juda Allahondoum, fondateur et directeur de publication du journal tchadien "Le visionnaire»

 Face à l’incertitude et au désarroi grandissant nés des difficultés financières, politiques et socioéconomiques que traverse le Tchad, "Regards d'Africains de France", votre journal d’actualités en ligne donne la parole aux Tchadiens de toutes catégories socioprofessionnelles, leaders politiques ou syndicaux, acteurs de la société civile et responsables des associations etc. afin d’exprimer leur ressenti personnel, de trouver des explications rationnelles et de proposer de pistes de solutions susceptibles d’inspirer les gouvernants.

Allahondoum Juda, fondateur et directeur de publication du journal tchadien "Le visionnaire», a accepté de passer sur le grill pour nous donner son opinion sur les préoccupations actuelles du Tchad et son point de vue sur ses activités professionnelles.

Pour ceux de nos lecteurs qui vous connaissent peu ou pas du tout, pouvez-vous brièvement vous présenter ?

Je suis Allahondoum Juda, 34 ans, journaliste tchadien, Fondateur et Directeur de la publication de « Le Visionnaire », un hebdomadaire paraissant tous les mardis. Je suis par ailleurs, Secrétaire général de la Convention des entrepreneurs de la presse privée au Tchad. Marié et père de cinq enfants dont deux filles et trois garçons.

Selon vous, dans quel état se porte actuellement le Tchad ?

Je peux dire que le Tchad traverse une zone de turbulence financière. Ce qui rend difficile le fonctionnement des services de l’Etat, plongés depuis presque quatre mois dans une grève qui est loin de prendre fin.

Diriez-vous que le Tchad sous le règne d’Idris Deby se porterait mieux qu’à l’époque de l’ancien Président déchu Hissein Habré, actuellement condamné par le tribunal spécial africain de Dakar en mai 2016 ?

Je n’avais que 8 ans, lorsque Habré a été chassé du pouvoir par Deby. Alors, personnellement, je ne peux dire grand-chose du vécu. Par contre, en bon journaliste, j’ai eu à consulter les documents, et reçu les témoignages de mes parents qui m’ont replongé dans son règne. Cependant, la comparaison ici à faire doit-elle se fixer sur un angle économique ? Social ? Politique ? Je n’en sais pas. Mais, mon père me disait qu’on vivait mieux sous le régime de Habré sur le plan social. Maintenant, s’il faut parler de la préservation des Droits de l’Homme et de l’éclosion des libertés, le régime de Deby nous a ouvert les portes.

Quelles sont, à votre avis, les vraies causes ou raisons qui nuisent au bon fonctionnement du pays ?

Elles sont politiques. La mauvaise gouvernance, la marque du pouvoir Deby a plongé le Tchad dans sa chaotique situation actuelle.

Le Tchad a survécu du conflit de 1979-80 qui a failli diviser les Tchadiens entre nordistes musulmans et sudistes chrétiens. Que reste-t-il aujourd’hui de ce passé douloureux de 1979 ?

Ce passé nous suit toujours. Aujourd’hui, ces termes péjoratifs de Doum, Sara, Kirdi, sont toujours employés dans le quotidien des Tchadiens. Et tant qu’on n’aura pas effacé ce passé, le pays ne pourra retrouvera son unité tant recherchée.

On parle souvent du nord et du Sud comme si le Tchad n'a plus d'autres orientations géographiques comme le centre, l'Est, l'ouest. La division nord-sud : mythe ou réalité, selon vous ?

C’est une triste réalité.

Le Tchad n’a plus été gouverné par un Président sudiste après les défunts Tombalbaye et Malloum. Sur les quatre autres qui ont suivi, trois sont du grand nord (ex-BET). Comment expliquez-vous ce constat ?

Je pense que la question sudiste ou nordiste ne doit pas être une préoccupation pour la gestion du pays. Le Tchad a besoin d’un président digne, peu importe sa religion ou sa région. Tous ce que les Tchadiens attendent, c’est le développement de leur pays. Parce que, dès qu’on tirera sur les fibres régionales ou religieuses, le pays n’avancera pas. Il faut dire que si le pays traine encore les pas derrière les jeunes nations, c’est parce que les Tchadiens ont passé plus de temps à entretenir le repli identitaire. Je pense qu’il faut voir plutôt la compétence des hommes appelés à diriger.

La mauvaise gouvernance quasi généralisé, se nourrit-elle de la fibre religieuse ou ethnique encouragée ou tolérée au plus haut sommet de l’Etat ?

Rien à voir avec la religion ou l’ethnie. C’est la gestion patrimoniale de l’Etat qui conduit à cette situation.

Parlons concrètement des religions et de la place qu’elles occupent. Les autorités tchadiennes reconnaissent et prônent le caractère laïc de l’Etat. Etes-vous convaincu de leur bonne foi ?

Les textes de la république garantissent la laïcité de l’Etat. Mais, en réalité, il est utopique de parler de la laïcité de l’Etat au Tchad.

Certes, la constitution reconnait le Tchad comme étant laïc. Cependant, des lieux de culte, notamment certaines mosquées disséminées un peu partout sur l’ensemble du territoire sont parfois directement ou indirectement financées par le Chef de l’Etat avec l’argent des contribuables. Cela amène à se poser de sérieuses questions sur l’interprétation du principe de la laïcité au Tchad. Avez-vous publiquement osé dénoncer ces dérives ? Ou alors vous avez préféré mieux garder le silence du fait du caractère sensible du sujet ?

Les critiques sont souvent faites. Mais pour quel résultat, quand la personne critiquée vous brandit toujours le dicton « le chien aboie la caravane passe ». Cependant, il faut nuancer un peu vos affirmations. Car, Deby finance aussi la construction des églises au Tchad.

Certaines personnes sont parfois gênées de témoigner de leur foi religieuse. Croyiez-vous personnellement en Dieu ? Et si tel est le cas, vous servez-vous des valeurs chrétiennes dans votre vie quotidienne, et notamment dans le cadre de votre journal ou alors vous conduisez-vous uniquement en bon journaliste respectueux de la déontologie de sa profession ?

Je suis chrétien baptisé, protestant. J’ai été élevé dans la foi chrétienne. Dès ma jeune enfance, mes parents, membres des églises évangéliques du Tchad m’ont appris les bonnes valeurs. Aujourd’hui, je m’en sers bien tant dans la vie familiale que professionnelle.

En parlant justement de la liberté de la presse et surtout des médias privés. Comment se porte-t-elle au Tchad?

Certes, la liberté de la presse existe au Tchad. Mais, dans les faits, les journalistes ne vivent pas réellement cette liberté. Ils ne sont à l’abri que quand leurs plumes ne touchent pas aux sensibilités du pouvoir en place.

Et comment vous, en tant que Directeur de Publication, jouissez-vous de cette liberté de la presse à travers vos publications et l’accès à l’information ?

J’exerce normalement mes activités sans être inquiété même si quelques fois, on est interpellé à cause de notre travail.

Selon le dernier classement de la liberté de la presse de Reporters sans Frontières, le Tchad figure au 127è rang sur 180 pays du monde. Estimez-vous encore plus difficile comme Directeur de Publication d’exercer son métier dans un environnement défavorable autant pour la presse écrite qu’audiovisuelle privées?

C’est un peu difficile quand on est de la presse privée. Mais, lorsqu’on reste professionnel, on évite de tomber facilement dans le piège des ennemis de la liberté de la presse.

15- Dans la pratique quotidienne de votre métier, avez-vous été contraints de vous assoir sur des principes ou des techniques en journalisme qui se heurtent à une citadelle d’obstacles parsemés par les barons du régime, prompts à sanctionner toutes critiques ou contradictions ?

Ce qui semble difficile à faire, c’est l’investigation. Lorsqu’on vous identifie comme un organe qui critique le régime, lorsque votre plume aiguise les sensibilités, souvent les portes aux sources d’information vous sont fermées. Et si vous ne faites pas attention, vous tomberez sur le coup de la diffamation, chose qu’il faut éviter quand on est journaliste professionnel.

Comment définiriez-vous le concept de la « liberté » de la presse dans un pays où certains de vos collègues des médias étrangers comme Jeune-Afrique qualifient d'autoritaire le régime en place?

Il y a liberté de la presse au sens vrai du terme que lorsque le journaliste peut librement exercer. Lorsque le journaliste n’est pas inquiété pour ses écrits. Lorsqu’il ne part pas en prison à cause d’un article. C’est vrai qu’il y a la dépénalisation du délit de presse dans notre pays, mais la réalité, en est une autre.

Comment appréciez-vous le rôle joué par Reporters Sans Frontières à travers son correspondant local ou la responsable du bureau Afrique ?

C’est l’occasion de remercier Reporters sans frontières, qui fait un travail excellent sur le continent noir, où de nombreux journalistes sont souvent inquiétés à cause de leur travail. Je l’encourage à maintenir cet élan, afin de peser plus sur les dirigeants qui bafouent les libertés de la presse dans leurs pays.

Lorsque vous lisez vos confrères des médias étrangers ou écoutez les actualités des radios comme RFI, que vous inspire la façon de traiter l’information concernant le Tchad ?

Désolant quelquefois. Mais, c’est la triste réalité. Ces médias affichent la vraie face de nos pays. Ce sont souvent des choses que les médias locaux ne peuvent dire qu’ils exposent à la face du monde, pour inciter au changement. Ils le font parce qu’ils ont toute cette liberté de la presse que les journalistes locaux n’ont pas. J’aimerai qu’ils continuent dans cet élan.

Croyez-vous, la thèse du gouvernement qui attribue à la crise financière et économique, la baisse des cours du pétrole au niveau mondial ?

La crise financière est réelle. La baisse du prix du baril affecte le Tchad qui depuis quelques années, ne compte que sur les recettes pétrolières.

S’il devait y avoir des comptes à rendre aux Tchadiens, qui doit-on désigner comme principal responsable de cette conjoncture économique ?

Bien évidemment, le régime en place qui s’est illustré par une gestion scabreuse des ressources du pays. Si le pays est arrivé à cette situation, c’est parce qu’on a encouragé le vol, le détournement des deniers publics, les concussions, le clientélisme...Et quand on parle du régime, on voit en premier le chef de l’Etat Idriss Deby Itno.

Pour juguler ou endiguer cette crise financière qui paralyse actuellement les activités de toutes les institutions de la République, l'Etat tchadien décide d'appliquer de façon draconienne 16 mesures qu'il considère comme salutaires. Donnez-vous raison à l'Etat d’avoir fait le bon choix?

Il fallait trouver une solution à la crise, et l’Etat se doit de prendre des mesures. C’est inévitable. Parmi les 16 mesures, il y en a qui sont bonnes, d’autres non. Aujourd’hui, si la grogne sociale continue, c’est parce parmi les 16 mesures, il y en a qui touchent directement aux poches des gens. C’est l’erreur que le gouvernement a commise. Or, on pouvait autrement gérer cette crise sans toucher les salaires ou la bourse des étudiants. Il y a par exemple des institutions budgétivores qu’il faut supprimer, et assainir les finances publiques. C’est un grand défi pour le gouvernement. Parce que tant on n’aura pas enrayé la corruption et les détournements, on prendrait mille mesures, mais on sera toujours en crise.

Si le peuple tchadien se tournait vers vous les journalistes pour trouver des solutions adéquates à cette fameuse crise, quels seront vos propositions ?

Nous ne sommes pas des donneurs de leçons, ni des politiques mais des gens qui informent, éduquent et sensibilisent pour un changement de comportement. Nous n’avons aucun pouvoir de trouver une solution immédiate à la crise. Tout ce que nous pouvons faire et le faisons d’ailleurs, c’est de dénoncer la mauvaise gouvernance. Il revient à ceux qui ont le pouvoir, d’appliquer nos propositions, et prendre en considération les dénonciations faites dans nos colonnes pour sortir le pays de la crise.

Actuellement tout ou presque est à l’arrêt Les écoles élémentaires, les collèges, les lycées publics sont fermés depuis la rentrée scolaire de cette année. Les agents de santé sont aussi en grève et bien d'autres services de l'Etat. Les universités publiques sont également fermées et on parle de plus en plus d'une année blanche. D'après vous, que faire au juste face à la décision des différentes organisations syndicales du pays de poursuivre la grève en dépit des menaces brandies par le gouvernement totalement dépassé par la situation ?

Il revient aux syndicalistes d’évaluer leur mouvement. Et au gouvernement de faire preuve d’écoute et de flexibilité. Sinon, c’est le pays qui perd.

Qui est actuellement le principal responsable de l’association des journalistes tchadiens ? Et que fait-elle, cette organisation pour vous les journalistes tchadiens ?

L’Union des journalistes Tchadiens est une vielle organisation de la presse au Tchad qui a fait ses preuves. Malheureusement, pour des intérêts mesquins, elle est plongée dans une crise depuis deux ans. Ce qui fait que sa voix ne compte pratiquement pas ces derniers temps. Il y a actuellement deux présidents. L’un proche des médias public, et l’autre proche des organes privés. Par exemple nous venons de perdre un confrère Modilé Lebad, mais aucune de ces organisations n’a réagi. Nous nous sommes organisés à notre manière pour participer à ces obsèques. C’est désolant.

Que diriez-vous au peuple tchadien, notamment aux étudiants de l'intérieur qui étudieront désormais sans bourse contrairement aux enfants des familles nanties, épargnés par cette mesure du ministère de l'Enseignement supérieur, au seul motif que ces privilégiés étudient à l’étranger ?

Il faut garder l’espoir. Toute chose a une fin. Ces moments difficiles que traverse le peuple, préparent incontestablement à une chose. Le Tchad revient de loin, il appartient au peuple tchadien de revendiquer ce qui lui revient de droit et de le préserver par tous les moyens. C’est l’occasion de présenter mes vœux à tous ceux qui me lisent. Que 2017, apporte ce que 2016 n’a pu apporter, et qu’elle soit l’année de réalisation de tous nos rêves.

    Propos recueillis par Ahmat Zéïdane Bichara/Moussa T.Yowanga 

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