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REGARDS D'AFRICAINS DE FRANCE

Informer sans travestir ni déformer, c'est notre combat !

Tchad (N°3) : « Chaque blessure laisse une cicatrice et chaque cicatrice raconte une histoire », martèle Ramadan Souleymane.

Rare récit d’un ancien prisonnier politique innocenté par la Justice de son pays, l’huissier de Justice, Maître Ramadan Souleymane, qui fut interpellé le 15/11/2017, conduit au parquet de Moundou le 16/11/17 et libéré le 08/12/2017.

Le samedi 18 novembre 2017, la Rédaction de Regards d’Africains de France eut publié le communiqué de presse de la Convention Tchadienne pour la Défense de l’Homme (CTDDH) dénonçant l’arrestation arbitraire de Ramadan Souleymane, huissier de Justice au ministère tchadien de la Justice à Moundou, seconde ville et capitale économique de la République du Tchad. D’après le communiqué de presse de la CTDDH signé par son secrétaire général Mahamat Nour Ahmed Ibedou, monsieur Ramadan Souleymane avait été arrêté et inculpé pour « diffamation » le 15 Novembre 2017 pour avoir posté sur sa page Facebook que le gouverneur du Logone « pourrait-il justifier du montant de plus d’une centaine de millions qu’il avait retiré du trésor pour la sécurité » Il met en garde les autorités locales et centrales contre toute atteinte à son intégrité physique.

 

Le 12 décembre 2017, on avait annoncé que toute la procédure de son arrestation a été annulée par le Tribunal de Grande Instance de Moundou sur la base de l’article 50 du nouveau code de procédure pénal, relatif à l’absence de consignation de la présence de l’avocat à l’enquête préliminaire, dans le procès-verbal(PV) de la police judiciaire. Il est définitivement libre. Le 12 décembre 2017 à 22h : 32 minutes, Maître Ramadan Souleymane publie un premier message sur son Facebook pour annoncer officiellement sa libération et remercier tous ceux qui l’ont soutenu. Il le dit de lui-même : « Mes premiers mots vont tout naturellement à ma défense, à ma famille, à tous mes amis et collègues, à tous les compatriotes qui ont cru à la lumière qui pointe à l'horizon et qui dans un élan de solidarité constant ont su et pu braver tous les dangers et intimidations et ont fait bouger la montagne de la honte et de la terreur. Il suffisait d'y croire et surtout d'y oser. Que Dieu bénisse chacun de vous. Je n'oublie pas également mes bourreaux qui m'ont rendu un service inestimable en m'envoyant au cachot car j'ai beaucoup appris à mieux les connaître. À tous je dis enfin : me revoilà ! » Chose très importante à mettre au crédit de Maître Ramadan Souleymane fut sa décision de raconter de façon chronologique et épisodique à compter du jeudi 29 décembre 2017, ses premières nuits de séquestration au Commissariat central de Moundou et les privations de toutes sortes endurées jusqu’à sa libération. C’est un rare témoignage à ne pas manquer.

Voici le troisième récit politique de Maître Ramadan Souleymane, Huissier de Justice qu'il raconte à la manière de l’émission télévisée française, les « Enquêtes impossibles » consacrée aux enquêtes criminelles menée par la police scientifique avec la contribution de la médecine légale, laquelle émission est projetée sur les chaînes télévisées NT1 et TF1.Ainsi, commence-t-il son récit:«Vendredi 17/11/2017Réveil facile et en forme après une petite gymnastique d'au moins 20 minutes dans la cour. Je regagne mes appartements privés et m'étale. Le sommeil m'embarque. La femme de mon Ami arrive et me sert un petit déjeuner complet (omelette, pain, café, banane, brouillon). Mon épouse est en mission à N'Djaména et doit rentrer aujourd'hui. Je reviens dans la cour et rencontre le régisseur qui vient juste de faire son entrée. Il me salue chaleureusement. On nous installe un lit de camp et nous prenons place côte-à-côte. Il se lève. Va jeter un coup d'œil à la cuisine et au département des mineurs puis revient. Il sort un bout de papier de sa poche et le remet à un prisonnier ; lequel doit aller à l'intérieur lui appeler ceux dont le nom y est inscrit. 2 ou 3 je crois. A l'arrivée ces derniers, le régisseur me fixe du regard et me dit calmement : s'il vous plait grand frère, pouvez-vous regagner votre chambre et nous laisser travailler ? J’ai même besoin de causer un peu avec vous après. Je remarque qu'il articulait les mots difficilement et que ses lèvres tremblaient.

 J'ai compris le message et regagne ma chambre. Après une lecture en diagonale d'un article du journal Jeune Afrique, je m'endors. On me réveille à11h09 minutes. Des collègues sont venus me rendre visite. Le petit qu'on a envoyé me dit de passer derrière le grillage. Que je ne suis plus autorisé à recevoir mes visiteurs au poste police. Je suis surpris mais obéit pour ne pas perdre du temps. Mes collègues à qui le chef de poste vient de signifier les mêmes instructions, sont choqués et surpris plus que moi. Je savais déjà depuis hier soir que le week-end allait être corsé. Nous causons une dizaine de minutes. J'essaie de détendre l'atmosphère avec quelques petites blagues mais mon ancien clerc et une amie camerounaise qui les accompagnent, sont sérieusement touchés par le spectacle indigne que nous impose le régisseur. Me Saleh à qui j'avais demandé de me tirer un acte de mon étude pour signature me dit qu'il a l'acte avec lui. J'appelle le régisseur adjoint pour me récupérer ça. Surprise ! Le régisseur adjoint me dit en trébuchant sur les mots, qu'étant en prison, je ne peux plus signer aucun acte. J'étais scandalisé et lui demande s'il m'a déjà, lui, jugé et condamné. S'il m'a déjà déchu de ma qualité d’Huissier de justice ?

 Monsieur Doumdé est catégorique. Je donne mandat à mon collègue de reprendre l'acte et de le signer. Je profite pour faire une petite leçon de moral au pauvre régisseur, gendarme de son état et donc susceptible de connaître quelques notions élémentaires de droit. Il s'excuse et nous dit que ce sont des instructions qu'il a reçues de son titulaire et du procureur de la république. Aussi idiot et curieux que cela puisse paraitre, je suis donc verbalement déchu de ma qualité d'officier ministériel et public ce matin du 17 novembre 2017 par Abdelmounime Annour (procureur de la république) et Mahamat Béchir (gouverneur) son ami et patron. Mes collègues repartent en promettant saisir le parquet général. Ils ignorent certainement que le procureur de la république n'a aucun respect de son supérieur hiérarchique depuis l'arrestation de Laoukein Médard. Je reçois une autre visite après celle de mes collègues. Toujours dans les mêmes conditions. Je reviens dans ma chambre et somnole un quart d'heure. Je me réveille à 12h15 minutes et profite pour lire un autre article du journal puis me prépare pour la prière. Nous sommes vendredi. A 12h50 minutes, lorsque je me pointe devant la porte d'entrée, le petit qui gère les entrées me fait signe de répartir dans ma chambre. Le chef de poste à qui j'ai posé la question me répond toujours Non. Mon épouse arrive à15h15 minutes, accompagnée de ma nièce. Elles sont scandalisées de me trouver cloîtré derrière le grillage. Mon épouse me demande si je lui ai menti sur le chef d'inculpation. Tu es devenu criminel depuis quand me lance-t-elle. Je la rassure que je me porte bien et que le moral est au beau fixe. Ma nièce me fixe du regard et, n'en pouvant plus, craque et éclate en sanglots. Mon épouse la console pour éviter d'en faire autant. J'essaye de détendre le climat par une petite blague. Je leur fais savoir que je suis devenu maintenant très important. Une espèce rare et protégée.

Désormais, vous ne pouvez plus me serrer la main. Vous ne pouvez plus me faire que de grands signes derrière le grillage comme quelqu'un qui dit au revoir à un Ami qui voyage en bateau. J'ai passé le reste de la soirée dans la chambre. Je sors à 17h45 minutes pour la prière. Le « Chef de Cour », CC comme l'appelle habituellement les détenus, me demande de diriger la prière. J'accepte. Nous causons avec prudence après la présentation. Il y a dans le lot de ceux qui seront désormais mes compagnons de la cour, un militaire commandant, un lieutenant de la garde nomade et un civil. Ils sont détenus respectivement, pour coups et blessures ayant entraîné la mort, pour complicité d'évasion et pour contrainte par corps. Un des leurs me dira plus tard d'être un peu plus prudent dans mes commentaires et autres analyses car tout ce que je dirai serait rapporté au régisseur. Lequel rendrait compte au procureur de la république qui le rapportera à son tour à mon plaignant. Nous partageons le repas apporté par mon épouse et celle de mon Ami et continuons la causerie après la prière de la nuit jusqu'à 20h30. Je commençais à m'assoupir et pris congé. Je regagne ma chambre et, après une prière surérogatoire, m'endors les poings fermés comme un bébé. Je me réveille à 01h du matin et pense à un conseil qu'un ami m'a donné hier. Celui de beaucoup me méfier de ceux qui sont à l'intérieur. Tu ne sais pas qui est qui et on peut facilement t'empoisonner par exemple. Je n’ai ni peur, ni envie de jouer à une quelconque duplicité dans les relations humaines. Mon éducation de base ne me permet pas de suspecter tous ceux qui m'accueillent ou qui viennent vers moi. Je préfère juger chacun suivant ses faits et gestes et surtout, me remettre à Dieu ».

Choix et commentaire de Ahmat Zéïdane Bichara

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