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REGARDS D'AFRICAINS DE FRANCE

Informer sans travestir ni déformer, c'est notre combat !

Choc Infos : Disent-ils vrai ou faux ?

                                    Être arabe en Amérique latine 

«Le racisme existe en Amérique latine».  L’auteure de cet article publié en juillet 2017 n’est pas allée par quatre chemins pour prouver l’existence des populations arabes en Amérique latine et particulièrement au Brésil.Lamia Oualalou, dont le travail de presse sur la présence des populations arabes en Amérique latine fût publié par le journal français Le Monde diplomatique n’a pas perdu de vue l'épineuse question du racisme clairement perceptible à travers ce titre évocateur: «Identités et intégrations à géométrie variable».Lamia Oualalou n’a rien omis, puisqu’après une décennie au Brésil, elle eut décidé de s’installer au Mexique, l’autre géant de la région et c’est ce qui explique la profondeur de son reportage. Elle nous fait découvrir à travers son regard à la fois lucide et critique, un aspect important de la société brésilienne profondément multiculturelle.  Découvrons son bel article. 

Selon la journaliste en parlant donc du racisme: «Il touche le plus souvent les populations noires, ainsi que les migrants boliviens, péruviens ou colombiens. Les communautés arabes, en revanche, ne souffrent que rarement des stigmates qui leur sont associés en Europe. Expliquer le phénomène implique d’observer les modalités de l’arrivée de ces personnes dans la région et les positions sociales qu’elles occupent. Le Libanais d’origine Michel Temer devient président du Brésil. » Ce 1er septembre 2016, le titre d’An-Nahar, quotidien de Beyrouth, ne fait pas la moindre allusion à Mme Dilma Rousseff, contrainte de céder sa place à celui qui était jusqu’alors son vice-président. Peu importe que sa destitution soit entachée d’irrégularités, au point d’être considérée par des millions de Brésiliens comme un coup d’État. Au Liban, on préfère exalter le destin de l’enfant d’un couple de paysans originaires de Btaaboura, à soixante-dix kilomètres au nord de la capitale, partis tenter leur chance à São Paulo en 1925. La rue principale du village de trois cents âmes avait déjà été rebaptisée « rue Michel-Tamer [selon l’orthographe locale], vice-président du Brésil ». Un coup de peinture bleue a suffi au maire — un de ses cousins — pour effacer le « vice- » sur la plaque, en portugais comme en arabe.Un fils d’immigrés arabes à la tête du pays : en Amérique latine, cela n’a rien d’une incongruité. Cela s’est déjà vu en Argentine (M. Carlos Menem, 1989-1999), en Équateur (MM. Abdalá Bucaram, 1996-1997, et Jamil Mahuad, 1998-2000), au Salvador (M. Elías Antonio Saca, 2004-2009), au Honduras (M. Carlos Flores Facussé, 1998-2002) ou encore en Colombie (Julio César Turbay, 1978-1982). Très bien représentés dans la classe politique, à droite comme à gauche, les descendants d’Arabes sont aussi des acteurs de premier plan de la scène intellectuelle et artistique ». On peut citer les écrivains Raduan Nassar et Milton Hatoum au Brésil, le comédien Ricardo Darín en Argentine ou la chanteuse colombienne Shakira. Et quand M. Donald Trump, fraîchement élu président des États-Unis, multiplie les attaques contre le Mexique, c’est un fils de Libanais, M. Carlos Slim, sixième fortune du monde en 2017 selon le magazine américain Forbes, qui convoque une conférence de presse pour rassurer ses compatriotes.

Héritiers des marchands phéniciens

Une intégration modèle ? C’est ce que raconte l’histoire officielle au sud du Rio Bravo. Ici, les Arabes, arrivés à partir de la fin du XIXe siècle, ne sont pas des Maghrébins ; ils viennent majoritairement du Levant. On les appelle, selon leur origine et selon l’histoire locale, « Syro-Libanais » en Argentine et au Brésil, « Libanais » au Mexique et en Équateur, « Palestiniens » au Honduras et au Chili. Et, pour faire simple, « Turcs » un peu partout, en référence à l’Empire ottoman, qui dominait la région à l’époque. « Ils sont relativement peu nombreux : 160 000 arrivants au Brésil, par exemple, un peu moins qu’en Argentine et moitié moins qu’aux États-Unis », précise Paulo Gabriel Hilu da Rocha Pinto. Cet anthropologue coordonne les études sur le Proche-Orient à l’université fédérale Fluminense, à Niterói, une ville voisine de Rio de Janeiro. Il s’est plongé dans les archives de l’immigration pour casser l’idée reçue selon laquelle le géant latino-américain compterait aujourd’hui plus de huit millions de descendants de Proche-Orientaux. « Au Brésil, les Arabes représentent le septième groupe d’immigrés en nombre, derrière les Européens ; mais, ici comme partout en Amérique latine, l’immigration [récente] est faible, de sorte que l’impact de chacune de ces populations est important », explique-t-il. Venus de Beyrouth ou de Tripoli, au Liban, certains espéraient s’installer aux États-Unis. Dupés par les compagnies maritimes, ils débarquèrent à Rio de Janeiro, Santos, Buenos Aires ou Veracruz. Après tout, c’était toujours l’Amérique.

Contrairement à d’autres flux migratoires, organisés par des États en mal de main-d’œuvre, les arrivées en provenance du Proche-Orient sont spontanées, motivées par la crise économique et par l’occupation française et britannique. Au Brésil, par exemple, cette particularité a évité aux nouveaux venus d’être envoyés dans les fazendas de café, où les travailleurs étaient traités en esclaves. L’immense majorité d’entre eux se sont lancés dans le commerce populaire des centres-villes. « Au Mexique s’impose l’idée selon laquelle les Libanais, en tant qu’héritiers des marchands phéniciens — une histoire vieille de six mille ans —, auraient un talent particulier pour générer des profits »,observe Theresa Alfaro-Velcamp, professeure d’histoire à l’université de Sonoma, en Californie, et auteure d’un livre intitulé Si loin d’Allah, si proche de Mexico (1).Parmi les immigrés arabes enregistrés entre 1926 et 1951 dans le pays, 45 % se déclarent commerçants.« Le plus drôle, c’est que l’histoire officielle de l’irrésistible ascension sociale des communautés arabes est la même au Brésil, en Argentine, au Chili, au Guatemala et dans toute la région », s’amuse l’anthropologue. Et pour cause : elle a été façonnée par un livre de Philip Hitti (ex-professeur à l’Université américaine de Beyrouth) publié aux États-Unis en 1924, The Syrians in America, avant d’être reprise et diffusée par un réseau d’intellectuels. Elle visait un objectif : donner une cohésion à une communauté très segmentée en termes religieux, géographiques ou politiques. Ce récit, qui exclut les musulmans — certes minoritaires — et les pauvres — ceux qui n’ont pas réussi —, a aussi l’avantage de faciliter l’acceptation par les populations locales.Ethniquement, l’Arabe n’est pas l’Européen blanc, censé améliorer la race et élever la culture, mais il n’est pas non plus le « Jaune » ou le « Noir ». Les nouveaux arrivants sèment d’autant plus la confusion qu’ils ont souvent débarqué avec un passeport émis par la France, qui occupait leur pays. « Les Turcs n’entraient dans aucune des catégories du système de classification raciale utilisé par les élites ; ils n’étaient donc ni proscrits ni désirés, et se retrouvaient dans une situation ambiguë », analyse Pinto. On leur reconnaît le mérite d’avoir modernisé le commerce, introduisant un peu partout la vente à crédit. Mais, en contrepartie, on les a perçus comme dissimulateurs et âpres au gain, impurs, par définition, dans des sociétés majoritairement rurales où les notables avaient des prétentions aristocratiques.

Les différences culturelles nourrissent les délires xénophobes : on assurait que les Arabes étaient cannibales du fait de leur goût pour le kebbeh nayé, une version libanaise du tartare. L’aversion a parfois basculé dans la violence, comme lors de la « guerre du peigne », qui éclata le 8 décembre 1959 à Curitiba, dans le sud du Brésil. Ce jour-là, un commerçant refusa de donner une facture à un policier qui venait de lui acheter un peigne. L’échange dégénéra, provoquant le pillage et la destruction de cent vingt magasins d’immigrés, en majorité arabes. Les nouveaux venus ont donc dû négocier leur intégration. D’apparence similaire à celle des Européens, ils ont entrepris de gommer ce qui les distinguait, à commencer par l’usage de l’arabe, en particulier dans les années 1930 et 1940, quand s’aiguisaient les nationalismes. De l’Argentine au Mexique, ils ont cessé de transmettre à leurs enfants leur langue d’origine. Ils se sont aussi convertis, abandonnant les variantes orientales du christianisme, perçues par les catholiques latino-américains comme proches de l’islam, ou, dans le cas des musulmans, l’islam lui-même. La réussite sociale et matérielle ainsi qu’une certaine acculturation leur ont permis de se faire accepter tout en maintenant leur identité. « Certains se considèrent comme arabes par tradition familiale, d’autres par leur participation à des institutions arabes. D’autres encore, tels les écrivains et les acteurs, font de leurs origines une source d’inspiration. La seule véritable survivance, c’est la gastronomie, qui reste revendiquée, au contraire de la langue, de la religion ou du vêtement », précise Pinto.

Dans toute l’Amérique latine, les immigrés proche-orientaux s’affirment en embrassant une partie des préjugés en vigueur, comme la sensualité des femmes ou le talent commercial, jouant là encore sur les ambiguïtés.L’anthropologue rappelle que les intellectuels professaient un orientalisme « oscillant entre des représentations des Arabes comme un peuple indolent et irrationnel et d’autres qui faisaient de leur monde l’une des matrices culturelles des nations latino-américaines, du fait de leur longue présence dans la péninsule Ibérique ». Les élites des communautés concernées y ont répondu en réinventant cet orientalisme, et en adoptant les références acceptables aux yeux des populations locales, leur permettant de négocier leur différence. Quitte à ce qu’elles n’aient pas grand-chose à voir avec leur histoire. Ainsi, la danse du ventre, tradition inventée par excellence, est un élément inévitable des événements organisés par les Centres syro-libanais, ces clubs de l’élite arabe qui fleurissent dans les principales métropoles. À Mexico, Guadalajara, Veracruz, Mérida et Monterrey, ces clubs, installés dans de superbes maisons, « ont la double fonction de démontrer la mexicanité de ces notables et la supériorité culturelle libanaise dans le domaine de l’entreprise. Puisqu’ils ont réussi, ils peuvent revendiquer leurs racines, qui expliquent même leur succès », constate Theresa Alfaro-Velcamp.

En 1966, personne n’a reproché au milliardaire Carlos Slim son mariage avec Soumaya Domit Gemayel, la nièce des ex-présidents libanais Amine et Bachir Gemayel.Il en est de même du carnaval, qui, au Brésil, permet de manifester de façon ludique son intégration (quoi de plus brésilien que le carnaval ?), mais aussi une identité idéalisée. Hommes et femmes arborent des déguisements de Bédouins ou d’odalisques tout droit sorties des sérails ottomans. Ils chantent aussi des marchinhas, ces « petites marches » du carnaval, renvoyant à cet imaginaire orientaliste. Allah-la Ô, écrite en 1940 par les descendants d’immigrés libanais David Nasser et Antônio Nássara, évoque ainsi le nomadisme de la caravane, le désert et l’islam, le tout sur un rythme de samba. Un classique, aujourd’hui encore. Mohammed El Hajji a profité de cet orientalisme mâtiné d’ignorance pour se faire rapidement une place à Rio de Janeiro après son arrivée en 1991. « Je me suis toujours présenté comme marocain, mais, même pour les professeurs d’université que je fréquentais, cela ne renvoyait à rien de précis : on confondait volontiers le Maroc et l’Inde, se rappelle-t-il dans un sourire. On ne savait pas où me classer. Cela m’a donné une chance de contourner les hiérarchies implicites — ethnique, géographique et sociale — intégrées par la société brésilienne, qui mettent à l’écart les Noirs, les Latinos de type indigène (Boliviens, Paraguayens, Péruviens...) et les Nordestins. » Il estime que, « au Brésil, la place dans la société découle d’un croisement entre le niveau social et l’origine géographique ». 

L’ex-journaliste du quotidien de Rabat L’Opinion est devenu professeur de communication à l’Université fédérale de Rio de Janeiro (UFRJ). Quant à sa fille, « c’est une Brésilienne de père marocain. Ici, on ne traîne pas de concept de “deuxième génération” comme en Europe ».Agréablement surpris, dans un premier temps, par la possibilité de se fondre dans le pays, El Hajji a vu les regards changer après les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis. Récemment invité à faire partie d’un jury de thèse de doctorat à Salvador de Bahia, il a été glacé par la boutade du directeur de thèse, qui, après l’avoir présenté au public, lui a demandé à quel moment il pensait jeter sa bombe, avant ou après la présentation. Pour la première fois, son prénom suscite des questions, voire des inquiétudes. « La rhétorique assimilant « Arabe » à « terroriste » ne s’est pas installée rapidement au Brésil, du fait de l’existence d’une élite politique et économique d’origine arabe ; mais, à force qu’elle soit martelée, l’islam est de plus en plus souvent taxé de religion dangereuse et fondamentaliste », estime Gustavo Barreto, chercheur en communication à l’UFRJ et auteur d’une thèse sur la vision par la presse de deux cents ans d’immigration au Brésil. L’islam, en croissance dans la région, y reste toutefois extrêmement minoritaire. Selon l’Organisation islamique pour l’Amérique latine, on y compterait quelque six millions de musulmans, dont 700 000 en Argentine (pour une population de 43 millions d’habitants), 1,5 million au Brésil (206 millions), 120 000 au Venezuela (31 millions) et 115 000 au Mexique (122 millions).

Multiplication des agressions

C’est dans la région de la « triple frontière » que ce discours a pris avec le plus de facilité. Aux confins de l’Argentine, du Brésil et du Paraguay, cette zone a toujours été un paradis de la contrebande, et les autorités américaines l’ont vite désignée comme un « fief du terrorisme », sans ne jamais en apporter aucune preuve. Elles ciblent par là les immigrés arabes de la deuxième vague, arrivés pendant la guerre civile libanaise, à partir des années 1970. Ceux-ci étaient majoritairement musulmans et, grâce à la télévision par satellite et à Internet, certains ont conservé un lien plus fort avec la langue arabe. « Jusqu’ici, en tout cas, le gouvernement brésilien a refusé la rhétorique islamophobe. Mais ce n’est pas le cas de l’Argentine, ni surtout du Paraguay, qui a multiplié les mises en détention arbitraires de citoyens d’origine arabe », déclare Fernando Rabossi, anthropologue à l’UFRJ. Il concède toutefois que le rejet de l’islam fait désormais des ravages dans toute la région. Les agressions se multiplient, en particulier contre les femmes qui portent le voile, les hommes étant moins visibles. En juillet 2016, les professeurs de l’Institut de physique de l’UFRJ ont été sidérés par l’expulsion d’un de leurs collègues, le chercheur franco-algérien Adlène Hicheur. Celui-ci avait été condamné en France pour terrorisme en 2012, l’examen de sa messagerie électronique révélant qu’il avait échangé avec un responsable supposé d’Al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi), puis libéré après deux ans et demi de détention. Le zèle de Brasília à l’expulser, sans raison, est inédit.

Outre la pression médiatique (la grande presse se faisant volontiers le relais des préjugés européens et américains), El Hajji voit la cause de ce changement d’attitude dans la montée en puissance des évangélistes et, surtout, de leurs représentants politiques en Amérique latine. Quelque 90 députés brésiliens revendiquent leur appartenance au groupe évangélique et réclament des changements en termes de politique étrangère, demandant en particulier que Brasília adopte une attitude plus clémente à l’égard d’Israël. « Il y a, dans l’esprit de beaucoup d’évangélistes, une confusion entre la Terre sainte du passé et l’État d’Israël moderne, confusion qui ne fait qu’accentuer le discours contre les Arabes et les musulmans », précise l’universitaire. Et de rappeler que, le jour de l’inauguration du temple de Salomon par l’Église universelle du royaume de Dieu, en juillet 2014 à São Paulo, l’hymne national d’Israël a succédé à celui du Brésil. Une partie des militants évangéliques, mais aussi catholiques, défendent désormais une « identité chrétienne » contre tous, et notamment contre l’islam ».

Choix et commentaire de la Rédaction

 

 

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