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REGARDS D'AFRICAINS DE FRANCE

Informer sans travestir ni déformer, c'est notre combat !

Interview : « Dans un champ de l’information où pullulent la propagande et la désinformation, les journalistes doivent plus que jamais redoubler de vigilance dans la vérification des informations. Les tentatives de manipulation sont nombreuses», avertit Arnaud Froger, l’actuel Responsable du Bureau Afrique de RSF

L’année 2018 tire inexorablement à sa fin au cours de laquelle monsieur Arnaud Froger a remplacé Mme Mélisande Massoubre au poste de responsable du Bureau Afrique de Reporters sans frontières (RSF). Il lui échoit  désormais l’exaltante et délicate mission d’assurer la défense de la liberté de la presse et de l'information en Afrique subsaharienne. Afin de mieux appréhender son parcours professionnel, le contexte et les enjeux liés à son travail, la Rédaction de Regards d’Africains de France lui offre cette tribune d’expression libre pour informer objectivement le public.

Regards d'Africains de France : Vous occupez le poste de responsable de bureau Afrique depuis bientôt un an. Pourriez-vous brièvement retracer vos expériences professionnelles antérieures ?

Arnaud Froger : Je suis journaliste de formation, diplômé de Sciences Po Lille et de l’Institut Pratique du Journalisme (IPJ) de Paris. J’ai commencé comme présentateur de journaux au Maroc à la Radio Medi1 où je couvrais tout particulièrement les révoltes des printemps arabes en Syrie et en Egypte et l’Afrique subsaharienne. Je suis ensuite parti à Madagascar où j’étais le correspondant de RFI et Jeune Afrique alors que le pays se trouvait en pleine période de transition politique. Je suis arrivé en Afrique de l’ouest en 2014 où j’ai été principalement correspondant pour France 24 en Côte d’Ivoire et au Burkina Faso jusqu’à l’été 2017.

 Quelles sont vos principales activités en tant que Responsable du Bureau Afrique de RSF ?

 Elles sont de plusieurs types. Ma première mission est d’effectuer une veille des atteintes à la liberté de la presse sur les 48 pays que nous classons en Afrique subsaharienne pour le classement mondial que publie chaque année RSF sur le sujet. Pour les cas les plus graves, je rédige des publications avec le triple objectif d’informer l’opinion publique, d’interpeler les autorités lorsque cela est pertinent et de défendre la liberté de la presse. Je mène aussi des activités de plaidoyer qui ne sont pas toujours publiques pour obtenir des avancées en matière de la liberté de la presse. Cela peut passer par des recommandations sur le cadre légal, des appels pour obtenir la libération de journalistes arbitrairement détenus ou la levée de la suspension de certains médias. Enfin, en tant que responsable du bureau Afrique de RSF, j’ai aussi un rôle de porte-parolat(Porte-parole) dans les médias afin de rendre compte de la situation de la liberté de la presse sur le continent, de communiquer sur les actions entreprises par RSF et susciter la mobilisation pour obtenir des changements favorables à l’exercice d’un journalisme libre, pluriel et indépendant.

 Si l’on se réfère à vos multiples communiqués dénonçant les atteintes à la liberté de la presse, l’Afrique francophone fait figure de mauvaise élève. Selon vous, d’où viennent les problèmes?

 Les problèmes récurrents auxquels les journalistes et les médias sont exposés afin de produire une information de qualité ne sont pas spécifiques à l’Afrique. Le continent n’est d’ailleurs pas celui qui s’en sort le plus mal si vous regardez de près la situation dans les différentes parties du globe que nous avons évaluées lors du dernier classement mondial de la liberté de la presse publié en avril 2018. L’Afrique s’y classait troisième sur cinq. Il serait difficile de faire ici une liste exhaustive des problèmes. Pour n’en citer que quelques uns, RSF déplore que trop de journalistes sont encore exposés à des pressions et des intimidations  de la part des autorités, de leaders religieux ou de grands groupes économiques afin de pouvoir mener à bien leurs enquêtes librement. L’Afrique subsaharienne n’est pas la partie du globe, très loin de là, qui compte le plus de journalistes en prison. Mais les arrestations arbitraires menant à quelques jours ou semaines de détention préventive, les suspensions de médias, les menaces, les agressions de la part des forces de l’ordre en marge de manifestations par exemple sont encore très nombreuses. Les coupures du réseau internet ou les lois visant à renchérir le coût du partage et de production de l’information en ligne sont également très nombreuses en Afrique. Nous pouvons ajouter à cela quelques régimes autoritaires qui ont supprimé le journalisme libre et indépendant comme en Erythrée ou à Djibouti.

 Pensez-vous que l’avènement de l’Internet constitue une chance pour la presse ou au contraire un facteur d’aggravation de risques pour les médias et les journalistes ?

 Internet a constitué un énorme espace de refuge pour les journalistes qui étaient menacés ou sous pression dans les médias traditionnels. Cet espace de libre expression est aujourd’hui confronté à deux enjeux majeurs. D’un côté, les journalistes et les médias de plus en plus nombreux qui ont investi cet espace doivent faire face à une profusion de désinformation et de propagande qui circulent à grande vitesse, notamment sur les réseaux sociaux. La « journalism trust initiative (JTI) » ou initiative pour la fiabilité de l’information lancée par RSF cette année vise justement à répondre à ce défi. Il s’agit d’établir des normes qui formeront un référentiel pour le journalisme de qualité. Ce label qui garantira que les informations ont été produites dans le respect des normes définies, aura pour objectif de redonner au journalisme de la visibilité dans un espace numérique saturé de mauvaises informations. D’un autre coté, un nombre croissant de régimes qu’ils soient autoritaires ou démocratiques, ont recours à des lois pour restreindre les libertés dans l’espace numérique. La volonté de lutter contre la circulation de mauvaises informations sert parfois de prétexte pour étendre le contrôle sur les journalistes qui s’expriment sur internet.

 Comment expliquez-vous la régression de la liberté de la presse en occident voire partout au monde ?

 La liberté de la presse est une conquête permanente. Elle n’est jamais garantie à vie ! Rarement les démocraties ont été à ce point touchées ces dernières années. En Europe, deux journalistes d’investigation, l’une Maltaise (Daphne Caruana Galizia), l’autre Slovaque (Jan Kuciak) ont été assassinés à la suite de leurs enquêtes. Aux Etats-Unis, pays du premier amendement, la liberté de la presse est malmenée par le président Donald Trump qui a fait de la « haine des journalistes » un fonds de commerce politique. En appelant les journalistes « ennemis du peuple », en qualifiant constamment leurs informations de « Fake news », il participe à une libération de la haine contre eux avec des conséquences parfois mortelles car cette rhétorique haineuse désinhibe une violence qui peut être physique. Sur le continent africain, le président ougandais Yoweri Museveni insulte régulièrement les journalistes de son pays. Parallèlement, c’est également l’un des pays du continent où RSF enregistre le plus de violences policières contre les journalistes. Ce n’est pas un hasard.

 Pourquoi la presse écrite est-elle la plus attaquée ? Le journalisme d’investigation y est-il pour quelque chose ?

 La presse écrite n’est pas forcément la plus touchée. C’est moins le support qui est attaqué que le type d’articles qui s’y trouve. De manière générale c’est plutôt la deuxième partie de votre question qui est à l’origine des plus fortes pressions et des plus importantes exactions. L’investigation fait partie de l’ADN du journalisme. Mais ce type de journalisme, en révélant des conflits d’intérêts, des pratiques de mauvaise gouvernance, des scandales environnementaux, met en cause des intérêts puissants. Il faut être courageux aujourd’hui en Tanzanie pour sortir une enquête indépendante et objective sur les premières années du pouvoir de John Magufuli alors que son gouvernement a ouvertement affirmé que chacun avait le droit de disparaître en parlant d’un journaliste d’investigation dont on est sans nouvelle depuis plus d’un an. Au Burundi, les autorités n’ont rien fait pour retrouver Jean Bigirimana, porté disparu depuis plus de deux ans. En Côte d’Ivoire, la disparition en 2004 du journaliste franco-canadien Guy-André Kieffer n’a jamais été élucidée malgré le changement de pouvoir. En cette fin d’année 2018, FrontPageAfrica, le premier journal d’investigation du Liberia est sous le feu des critiques de plusieurs membres du gouvernement et de menaces de poursuites judiciaires pour avoir révélé des dépenses ministérielles douteuses. Les exemples sont nombreux.

 La publication annuelle du classement mondial de la liberté de la presse est redoutée par les uns et mieux accueilli par d’autres. Quel est son impact sur le rapport entre la profession et les pouvoirs publics en Afrique ?

 Il permet déjà à chaque pays de se situer et d’identifier quels sont les événements ou décisions qui ont pu influencer leur évolution au classement. Pour RSF, c’est un outil de plaidoyer incontournable. Il nous permet de défendre la liberté de la presse sur la base d’une expertise dont le classement est l’une des manifestations les plus visibles. Il peut servir de base pour relancer ou poursuivre des discussions avec certains pays. Dans tous les cas, il est un instrument dont la fiabilité est très largement reconnue. Le classement existe depuis 2002 et il n’a cessé de s’améliorer depuis. Aujourd’hui c’est l’outil de référence pour mesurer la liberté de la presse dans le monde. Il est utilisé par l’ONU, par des agences de notation et par de grandes institutions et organisations internationales.

 Que fait concrètement RSF pour aider la presse africaine à se protéger contre les prédateurs de la presse ?

 En Afrique, comme partout ailleurs dans le monde, RSF agit à trois niveaux. Nous informons en dénonçant les atteintes à la liberté de la presse. Nous agissons par le plaidoyer que nous menons auprès des autorités. Et nous soutenons les journalistes et les médias qui sont menacés ou font l’objet de pressions.

  On assiste à un foisonnement des journaux numériques en Afrique et dans la diaspora africaine. Quel genre de relations le bureau Afrique entretient-il avec l’ensemble des médias africains et les journaux en ligne en particulier ?

 Nous entretenons des relations confraternelles avec les médias en ligne comme avec l’ensemble des médias. Nous sommes nous aussi journalistes. Les informations qui nous remontent du terrain viennent non seulement de nos correspondants, qui sont à de rares exceptions près, tous des journalistes en activité, mais aussi de reporters, de rédacteurs en chef ou de défenseurs des droits humains qui souhaitent collaborer avec nous de manière volontaire. Nous nous battons pour que l’environnement de production de l’information soit le meilleur possible. Si je devais employer une métaphore économique, je dirais que nous agissons au niveau macro.

 L’année 2018 est marquée par la tenue de plusieurs scrutins électoraux en Afrique. Quel regard portez-vous sur la couverture médiatique de ces évènements politiques ?

 Au Mali, la couverture s’est relativement bien déroulée. RSF avait milité et fini par obtenir la réouverture d’une radio, renouveau FM, fermée arbitrairement en pleine élection.

Au Cameroun, la situation demeure préoccupante. Le président Paul Biya a récemment ordonné la fin des poursuites contre plusieurs centaines de personnes détenues dans le cadre de la crise anglophone. Parmi elles, plusieurs journalistes avaient été arrêtés, notamment parce qu’ils critiquaient la gestion de la crise anglophone par le pouvoir central ou tout simplement parce qu’ils rapportaient des informations qui déplaisaient aux autorités. RSF s’est beaucoup investie pour obtenir leur libération.

A Madagascar et en RDC, il est trop tôt pour établir le bilan de la couverture médiatique des scrutins mais on peut déjà signaler que la tension qui prévaut dans le contexte pré-électoral congolais a déjà eu des conséquences sur les journalistes.

La RDC reste le pays où RSF enregistre le plus d’atteintes à la liberté de la presse en Afrique subsaharienne.

 Si vous deviez faire une suggestion à un responsable d’un établissement de formation de journalisme en tenant compte de votre propre expérience et de l’évolution du métier. Quelle serait-elle ?

 Dans un champ de l’information où pullulent la propagande et la désinformation, les journalistes doivent plus que jamais redoubler de vigilance dans la vérification des informations. Les tentatives de manipulation sont nombreuses. La crédibilité et la confiance dans le journalisme passeront par la qualité et la rigueur. Par ailleurs, le journalisme d’investigation est plus que jamais nécessaire afin de nourrir un débat public éclairé.

  Quels sont, selon vous, les écueils à éviter pour faire un bon travail journalistique ?

 Résister aux tentatives de manipulation, être rigoureux dans la vérification des informations, privilégier l’investigation.

 Quel commentaire vous a inspiré la polémique autour de l’arrestation en novembre dernier de la journaliste camerounaise Mimi Mefo ?

 Le Cameroun a encore trop souvent recours aux interpellations et au maintien en détention provisoire de journalistes pour le simple fait d’avoir rapporté des informations qui déplaisent aux autorités. Rapporter les témoignages des protagonistes d’une crise, que ce soit celle que traverse les régions anglophones ou celle du nord où sévit le groupe terroriste Boko Haram, fait partie de la mission d’information des journalistes. Le Cameroun a besoin de journalistes n’ayant pas d’épée de Damoclès au-dessus de la tête à chaque fois qu’ils couvrent des sujets sensibles.

 Quel message voudriez-vous lancer à l’endroit du public, des médias et des pouvoirs publics pour les encourager à œuvrer de concert pour la liberté de la presse en Afrique ?

 L’Afrique pourrait se donner comme objectif de n’avoir plus un seul journaliste en prison. Nous étions au moment du bilan des exactions publiés par RSF le 18 décembre à 15 journalistes emprisonnés en Afrique subsaharienne dont 11 pour l’Erythrée. Pour cela, les droits nationaux doivent être réformés et les organisations régionales ou continentales doivent être motrices afin qu’il ne soit légalement plus possible qu’un journaliste puisse se retrouver en détention pour des faits liés à l’exercice de sa profession. Informer n’est pas un crime. RSF continuera à se battre pour la dépénalisation des délits de presse et la sécurité des journalistes. Notre organisation milite pour la création d’un poste de représentant spécial chargé de la protection des journalistes auprès du secrétaire général des nations unies.

Propos recueillis par Moussa T. Yowanga / Ahmat Zéïdane Bichara

 

Informations importantes à consulter : 

RSF Africa
RSF Africa@RSF_Africa 9 nov.9 nov.

Cameroun : «La couverture de la crise anglophone ne constitue ni une forme de soutien ni un acte criminel relevant des tribunaux militaires. La journaliste Mimi Mefo doit être libérée immédiatement et sans condition.» #FreeMimiMefo @cdeloire @RSF_inter https://rsf.org/fr/actualites/cameroun-rsf-demande-la-liberation-immediate-de-la-journaliste-mimi-mefo 

Arnaud Froger a retweeté 

RSF Africa@RSF_Africa 12 oct.

Madagascar:« Empêcher la publication d’un sondage ou fermer arbitrairement une radio à l’approche de l’élection présidentielle, constitue des actes de censure préjudiciables à la qualité du débat démocratique »,estime  @RSF inter https://rsf.org/fr/actualités/madagascar-halte-la-censure-previent-rsf...

 

 

 

 

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