Informer sans travestir ni déformer, c'est notre combat !
11 Mars 2020
Inciter tous les Tchadiens et Tchadiennes à faire individuellement et collectivement, un véritable examen de conscience pour jeter les bases d’une société paisible et débarrassée du sectarisme ethnique et religieux, telle semble être la noble mission que s’est volontairement assignée l’écrivain Moustapha Abakar Malloumi. Ce dernier se distingue depuis quelque temps par de publications d’une implacable justesse qui ne laissent personne indifférente à en juger par le fond et la forme. Avec un style simple et une plume tout aussi appréciable, il sait poser les problèmes qui minent la cohabitation pacifique et la concorde nationale. Eviter d’en parler, c’est le piège dans lequel collectivement, se sont longuement enfermés les Tchadiens, vivant côte à côte sans partager, en réalité, grand-chose ensemble. Cependant, aussi noble soit-il, ce combat fait face à d’autres défis d’ordre socio-économique, éducatif, sanitaire et environnemental qui plombent dangereusement l’espoir d’une émergence prônée à longueur des journées par les thuriféraires du régime aux abois. Vouloir éveiller les consciences c’est formidable en soi, mais lorsque le pays regorge 78% d’analphabètes, n’importe quel message aura indéniablement du mal à toucher grand monde. Passons de tout commentaire, les mauvaises performances enregistrées stoïquement par les autorités incapables d’inverser les cours de choses. Comment parvenir à expliquer à cette masse de populations sans instruction en quoi le Tchad constitue leur bien commun ?
Qu’entend-t-il par l’expression « notre bien commun » ? S’agit-il de la dimension uniquement géographique évoquée par l’auteur ? Le Tchad dispose d’un vaste territoire de 1 284 000 km2 (5e en Afrique et 20e au monde) où vivent près de 15 millions d’habitants. L’auteur ne semble pas s’en tenir qu’à l’aspect purement territorial. On saisit alors vite que le bien-fondé du bien commun réside alors dans la manière de percevoir, d’utiliser et de préserver un bien commun. Autrement, le fait de vivre en société dans la perspective d’une intentionnalité éthique. Et donc défendre le bien commun si on peut se le permettre, c’est invoquer la mémoire de ce que nous sommes pour mieux savoir où nous allons, c’est affirmer l’utopie contre les forces de l’ordre des choses et une éthique de la solidarité contre celle que nous fournissent spontanément le marché et une culture individualiste. Et si d’avantage, on se met à considérer le bien commun du point de vue des objets qu’il recouvre conduit à considérer un ensemble de « biens sociaux » associés à la nature biologique, sociale et politique des individus en société. Or la définition du bien commun ne réside pas seulement dans les objets auxquels on peut l’associer, mais surtout dans la capacité collective à faire de la société un projet éthique de vivre ensemble. C’est dans ce sens que l’auteur utilise comme fil conducteur « la mère-patrie » pour administrer à chacun une dose de rappel historique pour mieux expliquer les réalités vécues aujourd’hui : « s’il y a une évidence sur laquelle beaucoup de nos compatriotes semblent être d’accord, c’est le fait que même avant la naissance du Tchad, nos ancêtres ont vécu sur cette terre patrie. Des communautés culturelles et ethniques ont précédé l’arrivée des blancs qui ont bien plus tard choisi un nom à notre contrée chargée d’histoires, d’énergies et d’émotions. Depuis, les habitants de ce lieu plein de charmes à découvrir s’appellent des Tchadiens. C’est une évidence que seul un non natif de ce pays pourrait se permettre l’excuse de l’ignorer. Aux dires des historiens, le paganisme était pratiqué par les ancêtres qui vivaient dans cette partie du monde qu’est aujourd’hui le Tchad, puisque ses principales religions actuelles, toutes deux monothéistes (Islam et Christianisme), n’y firent leur apparition que bien plus tard. Ces deux religions monothéistes ont façonné le mode de vie voire la vision du monde des populations acquises à leurs dogmes respectifs. Au fil des temps ces habitants qui appartiennent à ce qu’il convient d’appeler maintenant le Tchad commencent à se faire une identité selon la religion à laquelle ils s’identifient. De fil en aiguille, deux principales communautés verront le jour à l’image de ces deux religions qui dominent le pays. Alors que les musulmans se trouvent majoritairement présents dans la partie nord du pays, les chrétiens sont nombreux dans le sud du Tchad ».
Il poursuit méthodiquement ses explications en se fondant encore une fois de plus sur des faits socio-historiques pour inviter les uns et les autres à vivre leur religion comme une relation d’abord personnelle entre eux et leur Dieu tout en prônant le respect réciproque des autres religions:«Les Tchadiens sont donc principalement de religion musulmane ou chrétienne même s’il faut admettre la possibilité de la présence d’une minorité d’athées, de non pratiquants ou d’adeptes d’autres religions ou sectes. De ce qui précède, nous pouvons sans risque de nous tromper déduire que nos ancêtres avaient commencé par habiter dans cet endroit qui devient le Tchad bien avant l’arrivée des religions précitées. Cette contrée nous a été léguée par nos ancêtres et nous devons la chérir à juste titre. Nous avons, donc, tous en commun cet héritage qu’est le Tchad même si individuellement chacun de nous croit à une religion particulière qui n’est pas forcément commune à nous tous. Chaque croyant doit jouir, en privé, de la liberté de se connecter spirituellement avec Dieu tout comme en public il a droit de s’approprier de tous les bénéfices découlant du bien collectif qui est tout ce qui appartient à l’Etat. Collectivement nous devons jalousement chérir notre bien commun même si individuellement chacun de nous a le loisir de pratiquer la religion de son choix. La religion n’est point notre bien commun et comme telle ne doit pas s’inviter dans la sphère publique de discussion ayant trait à notre bien commun qu’est le Tchad. La religion relève ainsi du domaine privé du Tchadien, son domaine public étant intimement lié à l’héritage collectif. Notre patrie le Tchad étant ce bien commun, sa vie économique, politique, sociale et culturelle est ainsi l’affaire de nous tous. Comme la religion n’est pas l’affaire de tout le monde, elle est ainsi une affaire privée et donc vouée au placard. Elle ne doit pas avoir la prétention de sortir du placard pour prendre place dans la sphère publique ».
Par ailleurs, l’auteur a rappelé opportunément le rôle que devrait jouer l’Etat pour garantir à chacun le libre exercice de son culte. Dans un pays laïc comme le Tchad où les troubles à l’ordre public sont récurrents, les citoyens sont appelés à dénoncer toutes pratiques contraires à l’harmonie sociale : «il serait probable que des actes publics ou des décisions étatiques prises pourraient avoir des impacts sur la vie religieuse d’un individu ou d’une communauté. Dans ce cas de figure, l’Etat doit prévoir des alternatives qui assureraient à chaque croyant de vivre pleinement sa religion sans porter préjudice aux droits et libertés des autres citoyens. Autrement dit, l’Etat n’a pas pour vocation de dicter comment un individu pratique sa religion. Par contre, il se doit d’assurer que la pratique religieuse n’enfreigne pas les droits des autres citoyens. Par exemple, alors qu’il serait légitime qu’une personne ou qu’un groupe de personnes puisse organiser des activités rituelles dans un endroit dédié pour la circonstance, il est aussi normal que l’Etat veuille à ce que ces opérations rituelles ne troublent point l’ordre public. Si une pratique religieuse, censée se dérouler dans un cadre circonscrit, déborde pour se trouver dans la rue au point d’empêcher les autres citoyens de circuler convenablement, il y a un problème : le privé a empiété sur le domaine public. Ce genre de situation doit nous interpeller et appeler chacun d nous à faire prévaloir le respect de la chose commune au détriment de l’intérêt particulier. Dans ce cas d’espèce, l’intérêt particulier est la pratique religieuse de l’individu. Son intimité avec Dieu doit être du domaine privé et par conséquent ne devrait pas perturber la sphère publique. S’adressant à un auditoire musulman, l’éminent prédicateur français Hassan Iquioussen renseigne que « Dieu n’acceptera pas vos prières si vous commettez une injustice au nom de la prière ». Il ajoute aussi que « importuner les voisins de la mosquée (le bruit, le stationnement anarchique, etc.) encourt la malédiction de Dieu ».
Moustapha Abakar Malloumi porte en lui un combat contre tous les maux qui déstabilisent le vivre ensemble, parmi lesquels il cite la corruption, la dilapidation des biens communs ou les détournements de fonds publics, le manque du patriotisme, le peu de considération de l’autre qui peut-être le compatriote ou simplement un étranger ayant adopté le Tchad comme son pays d’accueil. L’écrivain prend un exemple précis des pratiques religieuses portant atteintes à la vie commune républicaine pour dénoncer les pratiques culturelles, qui produisent très souvent un malaise déplorable.Pour monsieur Moustapha Abakar Malloumi :« A l’instar de la religion, nos pratiques culturelles respectives ne devraient pas avoir une préséance sur le respect de la chose publique. Par exemple, ériger un hangar ou une tente au milieu de la rue pour organiser une cérémonie nuptiale ou funèbre ne saurait être acceptable pour un esprit épris du respect de l’autre. L’autre étant ce citoyen qui souhaite emprunter cette même rue « publique » pour son passage. Aussi organiser une animation musicale, fût-elle pour une célébration de mariage, dans un endroit ouvert au point de perturber la quiétude du voisin n’est pas de nature à contribuer au vivre- ensemble entre les Tchadiens. Le bruit issu des décibels des sons musicaux pourrait être perçu par le voisin comme une pollution qui menace son pré-carré (sa demeure privée) où règnent le calme et la quiétude. Cette doléance est aussi valable pour les détenteurs des lieux d’animation musicale à proximité des ménages et dont les espaces ne sont pas hermétiquement fermés. Que dire à l’usage des haut-parleurs utilisés pour des prêches et des incantations (poésies) religieuses organisées ou psalmodiées tard dans la nuit ou tôt le matin ?Le respect du voisinage nous impose à ne point perturber son prochain dans son droit à la quiétude ou au sommeil. Ici encore le prédicateur Iquissoune a vu jute puisqu’il a ce message suivant à ses coreligionnaires : « celui qui fait du bruit à une heure tardive de la nuit, sous prétexte qu’il a le droit puisqu’il est musulman, ses prières ne le rapprochent pas de Dieu. Au contraire, elles l’éloignent de Dieu. La prière qui te rapproche de Dieu est celle qui te rapproche des êtres humains». Je suis de ceux qui croient que Dieu entend nos louanges et implorations même dans nos murmures. Par ailleurs, le Tout-Puissant, Seigneurs des cieux et de la Terre nous recommande à travers toutes les religions monothéistes le respect de l’autrui ».
En conclusion, on peut admettre que l’auteur ait donné un enseignement civique de qualité susceptible de faire évoluer les mentalités vers une parfaite compréhension des notions de l’Etat et du bien commun. Ainsi, selon son intime conviction personnelle : « Dès lors que le respect du prochain fait partie des instructions divines, celui-ci devient illico presto un instrument de mesure de la foi d’un croyant qu’il soit musulman, chrétien ou juif. En d’autres termes, un vrai croyant est celui qui voue un respect indéniable à son prochain. Ce respect nous appelle à être observant de nos faits et gestes de manière à ne pas porter atteinte à la liberté et aux droits de l’autre sans raison légitime et collectivement acceptée. L’indisposer dans son sommeil ou lui mettre des embûches en travers son chemin, comme nous l’avions évoqué ci-haut, sont entre autres des manifestations illustratives parmi tant d’autres du non-respect de son prochain.L’amour du prochain prôné par les religions pourrait dans une certaine mesure se traduire par la reconnaissance du droit de l’autre à jouir aussi d’un bien commun. Une artère publique est un bien commun comme tout autre. Son usage fait partie des droits de chaque citoyen pourvu que celui-ci reconnaisse aussi et respecte le droit de l’autre d’en faire usage. De la même manière que le citoyen a le droit de jouir du bienfait qu’offrent ces artères publiques, il a aussi le devoir de les protéger dans la mesure de ses capacités. Par exemple, il peut recoller une partie dégradée d’une route s’il a les moyens tout comme il peut ramasser et déposer dans un endroit approprié une immondice maladroitement placée obstruant ainsi le passage au public. Nos devoirs à la protection de nos biens communs sont censés faire partie de nos valeurs intrinsèques. S’abstenir par exemple de jeter une canette de boisson, un tesson de bouteille ou une peau de banane sur les artères est non seulement un acte de civisme mais reflète aussi nos valeurs intrinsèques pour le respect de l’autrui. La chose publique étant donc notre bien commun, nous sommes, à ce titre, tous concernés par sa protection, sa maintenance, sa rénovation, sa croissance et son amélioration. En faisant ce geste, chacun, dans son coin, est en réalité en train de manifester et confirmer sa copropriété sur le bien en question.
Ahmat Zéïdane Bichara/Moussa S. Yowanga