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REGARDS D'AFRICAINS DE FRANCE

Informer sans travestir ni déformer, c'est notre combat !

Tchad : Lydie Beassemda rompt le silence

                                    Propos recueillis par Tchouanaba Patalet

De la restauration de la bourse promise par le défunt Maréchal à l’agression dont elle a été victime au Campus de Toukra… Sans langue de bois, elle répond à ses détracteurs sur ses capacités à diriger le ministère de l’Enseignement supérieur et dénonce les actes nocifs de certains lobbies.

 

Tchouanaba Patalet : Vous avez été portée à la tête du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et de l’Innovation le 4 mai 2021. Après 3 mois, comment se porte le ministère et quels sont vos principaux défis ?

Lydie Beassemda: Nous avons été portés à la tête du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et de l’Innovation dans un contexte de transition. Notre premier défi est de maintenir le bon déroulement des activités académiques. Le ministère de l’Enseignement supérieur est l’un des leviers de la stabilisation et de la paix sociale au Tchad. Nous avons au moins 55 mille étudiants qui étudient dans des milieux agités. Mais nous œuvrons, tant bien que mal, pour y maintenir la quiétude. Il faut souligner que l’année académique 2020-2021 a commencé avec un peu de retard. Certaines universités ont pu finir le premier semestre. Elles vont reprendre en septembre prochain, ce qui veut dire que nous avons tenu le pari de maintenir les cours. Un autre défi majeur est d’ordre conjoncturel, il y a un enjeu de soutenabilité financière. Nous avons plus de 20 institutions qui reçoivent des subventions de l’État qui ne couvrent malheureusement pas tous les besoins. Et cela impacte, un tant soit peu, le bon déroulement des activités universitaires. Le troisième défi est celui du pilotage. Aujourd’hui, il y a des programmes qui doivent être révisés pour pouvoir bâtir un capital humain qui corresponde à l’offre d’emploi sur le marché. Nous devons aussi mener de façon efficace les activités concernant la vie estudiantine (la restauration, le transport…). Ainsi, avons-nous mis sur pied des comités techniques qui doivent travailler d’arrache-pied sur de différentes thématiques qui concernent les œuvres universitaires : la réforme du mécanisme de l’enseignement supérieur et le dispositif institutionnel. Il est aussi nécessaire de diversifier les sources de financement du secteur de l’Enseignement supérieur. Pour ce faire, nous avons tenu un directoire qui nous a permis de faire un état des lieux.

Dans vos explications, vous avez évoqué le défi structurel. Nous constatons la prolifération des établissements publics d’enseignement supérieur sur l’étendue du territoire sans mesures d’accompagnement. Il y a un manque criard des ressources humaines. Qu’est-ce que le ministère envisage faire pour y remédier ?

Vous avez raison. Au niveau du directoire, il a été établi qu’il y a un manque de professeurs surtout dans les domaines scientifiques. Nous sommes en train de bâtir un système de planification. Car si l’on n’a pas de planification, il sera difficile d’envisager l’avenir. C’est sur la base de l’état des lieux que le directoire fera une planification à court et moyen terme afin de renforcer les ressources humaines.Une partie des enseignants vacataires a été intégrée l’année dernière. Envisager, s’il y a intégration, le recrutement des profils dont le manque est manifeste. Il faut aussi rappeler que nous n’avons pas vocation de résoudre tous les problèmes structurels. Nous sommes en période de transition. Nous parons aux urgences. Néanmoins, nous posons aussi des jalons pour l’avenir. Par ailleurs, nous avons mis en place une Commission dans le cadre du Dialogue national inclusif (DNI) qui doit travailler sur la réforme du système éducatif au niveau de l’Enseignement supérieur afin de contribuer efficacement à la formation du capital humain. Nous en sommes conscients.

Vous avez évoqué quelques urgences. Il nous a aussi été donné de constater que dans les établissements supérieurs d’enseignement privé, le contenu des programmes est en inadéquation avec l’intitulé des matières. Est-ce qu’il y a un travail qui est en train d’être fait pour corriger ces insuffisances ?

Il y a une Commission qui travaille déjà dessus. Nous avons aussi la charge des institutions d’Enseignement supérieur qui relève du privé. Cette commission couvre tous les domaines de l’enseignement supérieur. Cela trouvera des propositions d’actions à travers son rapport. Pendant longtemps, cette évaluation n’a pas été faite. Aujourd’hui, le grand débat est l’adéquation de l’enseignement avec le marché de l’emploi.

Pourquoi les lauréats de l’enseignement supérieur se retrouvent sans emploi ?

Cela fait aussi partie de la réflexion que nous allons mener. Il faut patienter qu’elles aboutissent sur des propositions qui seront portées au DNI. Le gouvernement après la transition va conjuguer ses efforts pour que l’enseignement supérieur reflète les attentes et les aspirations de la population. Il y a aussi l’aspect innovation qui n’a pas été très développé. Dans le cadre de la révision de l’organigramme du ministère, nous sommes en train de créer une direction dédiée uniquement à l’innovation pour que les jeunes qui bouillonnent d’initiatives puissent avoir un cadre d’accompagnement.

Le défunt maréchal du Tchad avait promis, lors de la campagne présidentielle d’avril 2021, que la situation des étudiants sera améliorée. Si cette promesse est toujours d’actualité, qu’est-ce qui est concrètement fait ?

Le maréchal du Tchad, Idriss Deby Itno (paix à son âme) aurait fait la promesse de rétablir la bourse. Même si on doit le faire, il faut d’abord évaluer cela. Ce n’est pas en pleine année académique que cela peut se faire. Comme vous le savez, tout ce qui concerne le budget doit passer par l’Assemblée nationale. Pour l’instant, nous sommes encore en train de faire l’état des lieux. Si cela doit être rétabli, le ministère ne peut que faire des propositions en collaboration avec d’autres instances du gouvernement. Et là aussi, il ne faut pas perdre de vue que nous sommes en période de transition. Les grandes décisions qui vont découler du DNI impacteront les orientations futures du ministère de l’Enseignement supérieur. Nous ne sommes pas les seuls acteurs dans ce processus de décision.

Peut-on espérer que cela soit porter devant les députés lors de l’adoption de la loi de finances initiale de 2022 ?

C’est une possibilité. Nous ne sommes encore qu’au stade de la réflexion.

Quelques milliers de jeunes tchadiens partent chaque année dans d’autres pays étrangers pour poursuivre leurs études. Que fait l’État tchadien à travers le ministère de l’Enseignement supérieur pour juguler ce qui convient d’appeler la « crise universitaire » ?

Les raisons pour lesquelles certains étudiants tchadiens quittent notre pays pour aller poursuivre leurs études ailleurs sont liées au fait que les années académiques sont élastiques. Ce qui fait attendre les jeunes bacheliers. Cette année, à titre d’exemple, puisque l’année académique traine un peu, il y a certainement des lauréats du baccalauréat de l’année dernière qui n’ont pas pu s’inscrire. A ceux-là, s’ajoutera l’ensemble des lauréats du baccalauréat de cette année. Et donc, ça explique pourquoi les étudiants tchadiens sont en quête d’une inscription ailleurs. Cela se comprend. Il y a un ensemble de mesures, d’actions à engager pour pouvoir juguler ce problème de capacité d’absorption des étudiants. Si nous avons mis sur place cette commission de réflexion, c’est parce que nous avons perçu les contraintes et les défis qui sont à la base des difficultés de l’Enseignement supérieur. Tous ces aspects sont en train d’être examinés. Par rapport à la feuille de route, nous projetions voir dans quelle mesure réduire la mobilité des enseignants. Aujourd’hui, avec une interconnexion des universités, on peut rapidement accomplir les programmes d’enseignement. Nous pensons aussi créer des jurys de correction pour faciliter les choses. Souvent, un enseignant chercheur se retrouve avec des milliers de copies. L’économie numérique doit être au service de l’enseignement supérieur. À travers les Technologies de l’information et de la communication (TIC), nous devons faire en sorte que les cours soient dispensés mêmes à distance. Notre grande préoccupation est de faire en sorte que l’année soit régulière pour pouvoir absorber une grande partie des lauréats du baccalauréat. Certes, cela prendra un peu de temps, car il faut attendre l’année académique 2022 – 2023 pour pouvoir rétablir. Encore faudrait-il qu’il n’y ait pas de grève, si les efforts sont conjugués, aussi bien du côté du ministère de l’Enseignement supérieur que de celui du ministère des Finances et du Budget, des enseignants chercheurs et des étudiants.

Il y a de cela quelques mois, les bus des agences de voyage ont été réquisitionnés par le ministère de l’Enseignement supérieur pour le transport des étudiants. Quel est le coût de location mensuelle et pourquoi jusque-là le ministère n’a toujours pas encore acquis d’autres bus et continue de louer ?

C’est à N’Djaména que ces bus ont été loués pour répondre au besoin de transport des étudiants. Ailleurs, les universités n’ont pas de bus proprement dit. C’est la commune qui gère le transport en milieu urbain. Les étudiants sont munis d’une carte d’étudiant qui leur permet de circuler à travers la ville. Mais au Tchad, nous n’avons pas un tel mécanisme. C’est pourquoi, l’État est obligé de mettre à leur disposition un moyen de transport.Le feu Maréchal, Idriss Deby Itno, s’est engagé à acquérir 35 bus qui sont supposés être à Douala en ce moment. D’ici à là, ces bus arriveront ce qui va réduire la pression liée à cette question de transport en milieu universitaire. Les choses rentreront dans l’ordre très bientôt.

Récemment, deux responsables du Centre national des œuvres universitaires (CNOU) ont été suspendus de leurs fonctions. Qu’est-ce que vous leur reprochez ?

Nous avons suspendu deux responsables de CNOU pour leur rôle nocif dans le milieu universitaire et aussi pour la mauvaise gouvernance. Le CNOU est très mal géré. Ces mêmes responsables qui nous ont reprochés de détourner les ressources, ont fini de dilapider les 500 millions mis à leur disposition. 80 % des prestataires viennent du premier responsable de CNOU. Ce sont des entités que ce responsable a créé et qui deviennent des prestataires, lesquels sont payés à coût des millions du contribuable. Figurez-vous que les plats consommés par les étudiants ne sont pas bien comptabilisés. Il n’y a aucun justificatif. Si nous comptons les 100 F collectés chez nos étudiants, on le multiplie par 29 mille étudiants par jour et pendant 9 mois, cela fait plus d’un milliard par an. Dans le rapport fourni par le CNOU, sur tous les sites universitaires, on est à peine à 25 millions. Curieusement, les recettes que font les universités des provinces font pratiquement la moitié de celle de N’Djaména.Les étudiants n’ont pas connaissance de cela, parce que des individus se croient plus puissants que l’État. Nous avons l’obligation de restaurer l’autorité de l’État, ce que nous avons fait en suspendant ces deux responsables de CNOU.

Récemment, le ministère de l’Enseignement supérieur a été accusé de détournement. Que s’est-il passé au juste ?

Depuis que nous avons été portés à la tête du ministère de l’Enseignement supérieur, nous n’avons pas cherché à savoir où se trouve le compte dudit ministère. Nous avons demandé à la direction de CNOU qui a reçu 500 millions de nous fournir quelques éléments d’appréciation qui lui ont permis d’autoriser les paiements des prestataires, notamment les contrats, les justificatifs et le plan de trésorerie. Le CNOU ne nous a pas fourni ces éléments basiques. Quand les ressources sont arrivées au compte du ministère, nous ne savons pas par quel miracle, certainement encore une simulation. Nous avons appris que les ressources sont venues au compte du ministère. Nous avons appelé le directeur général pour lui dire que nous avons demandé des documents susmentionnés au directeur de CNOU, qu’il nous les fournisse avant les paiements. C’était un samedi alors que nous étions à Moundou. Nous sommes rentrés sur N’Djaména le lundi, le jour suivant, nous avons appris par la voix du directeur que l’argent est venu au compte du ministère et c’est reparti dans le compte du CNOU. La seule réponse que nous avons donnée est qu’au Tchad tout est possible. Le dimanche qui a suivi, nous avons appris sur les réseaux sociaux que le secrétaire d’État et la ministre ont tenté de détourner l’argent du CNOU, grâce à la vigilance du ministère des Finances et du Budget que les fonds sont repartis dans les compte de CNOU. Nous ne comprenons pas ce qui s’est passé. Il doit avoir une explication. Malgré nos injonctions faites au directeur de CNOU de nous fournir les pièces avant de déclencher tout paiement, ce dernier n’a pas obtempéré, il a procédé à la distribution des chèques aux différents prestataires. Nous avons estimé qu’il n’y a aucune raison que nous le gardons dans nos dispositifs. Ce dernier pense avoir de soutiens des bras longs, nous avons assumé nos responsabilités, car nous ne pouvons pas préparer la rentrée prochaine si nous n’avons pas le contrôle et la gestion de CNOU. Sinon, nous sommes en train d’aller vers des interminables manifestations qui vont plombées les activités académiques.

Qu’avez-vous fait concrètement ?

Nous avons pris la décision de sauter le verrou qui nous empêche d’avancer. Le ministère est combattu par des lobbies qui doivent se dire que chaque chose a son temps. Ils ont fait la pluie et le beau temps, il est temps d’y mettre fin. Nous ne pouvons accepter que des individus pillent les ressources du ministère. L’État tchadien dépense 1 300 Fcfa par jour et par étudiant. Il faut multiplier cela par 26 jours et 9 mois. Cela fait plusieurs milliards. Souvent des détracteurs ressassent à la longueur de la journée que l’État ne fait rien. L’État fait de son mieux, mais il y a des individus mandatés qui ne remplissent pas leur mission dans la probité. De l’extérieur, on ne peut pas appréhender tout le contour de la situation, c’est pourquoi nous avons décidé aujourd’hui de rompre le silence. Longtemps, nous avons cru que ces gens allaient revenir au meilleur sentiment. Mais hélas. Nous pensons que c’est un crime contre les étudiants. Nous avons 15 bus fonctionnels. Par jour, l’État débourse environ 200 mille francs par bus. Lorsqu’il y a grève ou pas le CNOU facture la restauration et le transport. C’est pour cela que nous avons demandé des justificatifs. Le pire est que même pendant la campagne présidentielle d’avril dernier où les universités étaient aux arrêts, le CNOU a facturé ce mois. Qui ont-ils amené à l’université ?

N’était-il pas imprudent de votre part de vous rendre à Toukra vu la tension qu’il a existé entre les étudiants et leur ministère de tutelle ?

Les étudiants s’en sont pris à nous. C’est un héritage que nous assumons, nous ne sommes pas les acteurs qui les ont mis dans ces conditions. L’État étant une continuité, nous assumons et demandons qu’on nous donne le temps et nous verrons dans quelle mesure résoudre cela. Nous sommes allés à Toukra, c’était pour nous imprégner des conditions de leurs études. Il nous a été reproché d’avoir eu l’audace d’y aller. Est-ce que le campus de Toukra ne fait pas partie de l’Enseignement supérieur ? Est-ce une zone de non-droit où le responsable n’a pas droit d’y mettre pied ? Cette agression s’est passée en complicité avec des responsables que nous connaissons bien. Mais nous assumons cela. Si nous ne nous étions pas rendus, nous n’allons pas le savoir. Si c’était à recommencer, nous ferons la même chose. Nous voyons que les étudiants et certains enseignants chercheurs se mettent sur la Toile pour critiquer et se réjouir de ce qui s’est passé. Ce qui s’est passé à Toukra, où on a voulu porté atteinte à notre vie porte la signature des lobbies qui ont un visage connu et qui semblent donner assurance à certains responsables du ministère qu’ils vont les protéger. Il n’y aura pas de changement institutionnel, disent-ils, tant qu’ils sont à un certain niveau d’influence. Il est très malheureux de constater que dans ce pays, des personnes ayant un certain niveau de responsabilité manipulent les jeunes pour leur intérêt égoïste. Ces gens qui manipulent les étudiants ont-ils des enfants ou des proches dans ces universités ? Je n’en sais rien. S’ils avaient un enfant ou un proche de leur famille qui fait 5, 6 voire 10 ans pour avoir la licence, ils devraient être sensible aux difficultés des étudiants. Les étudiants doivent comprendre que ceux qui les manipulent ne sont pas les payeurs, ils les manipulent pour les maintenir dans la situation qui ne les avantage point.

Après votre nomination à la tête du ministère de l’enseignement, des voix se sont levées pour remettre en cause votre capacité de diriger un tel ministère. Que leur répondez-vous ?

Un ministre a pour mission de mettre en œuvre la politique du gouvernement. On n’a pas besoin d’être enseignant chercheur pour être à la tête du ministère de l’Enseignement supérieur. On est enseignant chercheur pour enseigner à l’université. Nous avons des expériences nécessaires qui nous permettent de diriger ledit ministère. Le débat au début c’était qu’elle a une licence en sociologie. C’est empreint non seulement d’égoïsme mais de machisme. L’épreuve de Toukra avait pour objectif de nous dissuader, de nous intimider et de nous empêcher d’avancer. Aujourd’hui, à plus de 100 jours, les gens qui doutaient de mes capacités doivent revenir sur terre et comprendre que lorsqu’on aime son pays, et quand on a un minimum de capital d’expérience, on est capable d’accomplir des grandes choses. Le diplôme est une chose, mais c’est à quoi l’on contribue tous les jours est plus important.

Le Tchad va accueillir la 12e édition du concours international « génies en herbe OHADA » en septembre prochain. C’est une compétition qui intéresse au premier chef, l’enseignement supérieur. Quel est l’implication du ministère en termes de soutien à cette initiative et pourquoi le droit OHADA n’est pas enseigné dans les facultés de droit dès la première année ?

Nous vous rappelons que le ministère est doté d’un budget prévisionnel de 9 milliards qui ne couvrent pas les salaires et le fonctionnement des universités. Vouloir oser dire que nous pouvons subvenir en termes des finances, nous ne le pouvons pas. Cependant, les étudiants sont les nôtres, s’il y a un événement, nous pouvons au moins mettre à leurs dispositions nos locaux. Nous aimerions bien mais nous sommes limités par des contraintes budgétaires. Le ministère n’a pas d’argent pour accompagner une activité quelconque. Il y a certains enseignants qui depuis trois mois n’ont pas eu leur salaire ou indemnité.

Collaboration spéciale ;Tchouanaba Patalet/ Regards d’Africains de France

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