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REGARDS D'AFRICAINS DE FRANCE

Informer sans travestir ni déformer, c'est notre combat !

Bénin-Sinatou Saka : « Le changement reste encore malheureusement un mythe au Bénin même si nous le désirons très ardemment.»

L’espace des médias béninois est aussitôt envahi par la brume de contestations et de révoltes de populations. Certains journalistes sont accusés de diffamation ou de calomnie et de corruption. D’autres pour des troubles à l’ordre public à cause de leurs multiples articles dénonçant les tares de ce nouveau régime. Des sites et des blogs sont créés apportant une main forte à la presse écrite et orale qui est là depuis fort longtemps au service de leurs populations. Progressivement et sûrement, les médias de votre pays sont devenus solides. Parmi ces journalistes en ligne se cache votre image, celle d’une jeune fille, une vraie femme qui s’exprime à travers une plume engagée et redoutable. Une plume qui exige du changement au Bénin et sur l’ensemble du continent africain.

Mademoiselle Sinatou Saka, parler du changement au Bénin, dans un pays où le président de la République Thomas Boni Yayi s’active avec tous les moyens humains et financiers dont il dispose pour réviser la constitution afin de le lui permettre de se représenter aux élections présidentielles de 2016, relève-t-il de la réalité ou d’un simple mythe ?

Sinatou Saka: Le changement reste encore malheureusement un mythe au Bénin même si nous le désirons très ardemment. Malgré les coups de gueule des uns et des autres, beaucoup de choses restent à faire, mais nous estimons que s'il nous reste encore quelque chose à faire c'est dénoncer ce qui ne va pas en espérant éveiller  les consciences des populations et ainsi faire un barrage à tout ce qui pourrait porter atteinte à notre démocratie. À partir du moment où le peuple sera bien informé, plus rien ne pourra empêcher l'alternance comme elle est de rigueur dans les pays libres, car elle aura connaissance des vrais enjeux et pourra réagir en conséquence.

Le Bénin, est un pays où on ne parle presque pas de morts politiques, ni de morts de faim, ni même de maladies graves comme ailleurs sous d’autres cieux. Nous qui vous regardons de loin, nous avons l’impression que les populations vivent bien. Pourtant, les journalistes réclament du changement. Ce changement que vous réclamez à travers vos plumes, est-il seulement politique ou bien celui des conditions de vie de vos populations ?

Ce changement, il est d'ordre général. Il est légitime comme c'est prévu dans notre loi fondamentale qu'un président après deux mandats passe le flambeau à une autre personne qui essayera à son tour de développer le pays. Donc ce changement est aussi bien politique dans la mesure où la gestion de l'Etat n'est pas la meilleure actuellement avec les différents scandales économiques que social, car le chômage est constamment en hausse et les populations rurales vivent de plus en plus mal.

Mademoiselle Sinatou Saka, certes, nous ne détenons pas le chiffre exact des populations analphabètes de votre pays pour mieux préciser notre question. Mais nous savons toute de même qu'un nombre réduit de personnes vivant en Afrique consacre leur temps pour pouvoir lire et s’informer dans la journée. Beaucoup de gens sont souvent préoccupés par leur situation alimentaire ou financière ou naturellement de quoi se nourrir. Vous avez créé un blog-infos comme font d’autres journalistes où activistes politiques à travers le monde. Êtes-vous persuadé que votre plume contribue à faire bouger les choses au Bénin ou ailleurs ? Comment et dans quel sens ?

Votre question est bien pertinente. Elle ressemble bien à celle qu'on me pose souvent. Faut-il investir dans le net au Bénin alors qu'on a un taux de pénétration très faible? Nous ne pouvons pas rester derniers pour autant. Le monde évolue et pour ne pas être absent lors des prochaines grandes décisions, nous devons suivre le mouvement. Je suis consciente qu'un travail de fond doit être fait afin d'alphabétiser plus de monde. Mais  il se fait que même au sein des populations dites lettrés, très peu peuvent analyser des faits et lisent souvent. C'est minoritaire et à faible impact, mais en espérant que les choses s'améliorent, c'est notre rôle pour le moment.

Généralement, lorsque l’on parle des journalistes engagés en Afrique, les vraies images qui apparaissent le plus sur l’écran, ce sont celles des hommes. Les femmes, on leur réserve la presse ordinaire et docile qui caresse les tenants du pouvoir dans le sens de poils. En revanche, ces dernières années, beaucoup de femmes sortent leurs têtes de l’eau pour se draper d’habits de personnes engagées à affronter des régimes austères, sanguinaires ou naturellement rétrogrades au même titre que leurs collègues hommes. Comment sommes-nous arrivés à ce point ?

La situation est devenue très préoccupante dans certains pays. Il n'était donc plus possible aux femmes majoritaires d'ailleurs au niveau de la taille de la population de se taire et de laisser faire uniquement les hommes. Nous affrontons les mêmes problèmes sinon que nous sommes victimes d'autres affres en sus alors il était normal que nous élevions la voix. J'ose dire que l'époque où la femme était reléguée aux travaux familiaux est passée.

L’image que l’Afrique porte sur les filles ou sur les femmes semble s’opposer à celle de l’occident. Dans ce continent noir, dès que l’on voit naître dans la famille une fille, on pense automatiquement à sa future vie d’une bonne épouse, soumise à son époux. Il est vrai que les mentalités changent progressivement dans beaucoup de pays africains. C’est peut-être le cas du Bénin. Vous Sinatou Saka, en devenant journaliste et blogueuse moderne, avez-vous eu le temps de réfléchir sur les conséquences qui risqueront de bouleverser votre vie de femme et les liens avec certains hommes qui rêvent de faire de vous une bonne et soumise épouse ?

Je dois avouer qu'en choisissant de devenir journaliste et blogueuse, j'étais consciente qu'il serait difficile d'avoir une vie privée normale, car ça exige de nous énormément de mobilité et une abnégation sans nul autre pareil. L'actualité évolue si rapidement que nous avons à peine le temps de penser à autre chose, mais c'est le prix à payer quand nous voulons faire un métier qui nous passionne d'abord. Cependant comme le dit un de mes proches, c'est à l'homme de décider s'il recherche une femme intelligente et autonome que dépendante et soumise.

Bien que nous sachions que chaque journaliste détient ses propres raisons qui l’ont poussé à choisir ce métier. Vous Sinatou Saka cela fait plus d’une année que vous êtes journaliste et blogueuse africaine. Avez-vous choisi ce métier de la presse par vocation ou bien vous étiez obligé à le faire à défaut d’autres métiers convenables ?

Vu que ma formation est bien loin de ce métier, oui, c'est un choix par vocation. J'avais la possibilité de faire d'autres choix de carrières, mais il est plus judicieux de réaliser son rêve jour après jour à travers notre emploi que de se contenter de travailler pour subvenir uniquement à ses besoins et sans aucun attachement.

Il vous sera certainement difficile de vous rappeler de votre premier jour dans le journalisme. Mais par exemple si on vous demande de raconter en peu de mots la journée la plus pénible de votre carrière de journaliste, que diriez-vous à nos lecteurs ?

Sans aucun doute, je dirais très récemment lorsque j'ai publié un article dénommé « je suis béninoise, je me ridiculise ». Les gens ont tendance à voir le mal partout dans nos pays et sont persuadés que nous journalistes ou blogueurs avons le devoir de critiquer constamment les gouvernements. Ceci n'est pas une règle, nous avons le droit d'avoir d'une part nos points de vue personnels et d'autre part d'apprécier les actions des régimes en place. Cet article m'a valu beaucoup de critiques et surtout des inquiétudes de la part de plusieurs membres de ma famille.

En général lorsque l’on voit une femme dans une rédaction, beaucoup d’hommes qui sont ses collègues de travail la prennent pour un sexe faible et donc incapable à réaliser des grands reportages comme eux. Comment vivez-vous votre journalisme face à certaines considérations qui minimisent vos capacités intellectuelles ?

Comme j'aime à le rappeler, tout se passe dans notre cerveau.  En ce qui me concerne, je ne me considère pas inférieur aux hommes sur le plan intellectuel alors ceci ne pourrait représenter un obstacle pour moi dans mon métier. Les discriminations sont là. C'est certain, mais on va au delà et on n'en fait pas un handicap.

A l’époque de Mathieu Kérekou et de Nicéphore Soglo, le Bénin votre pays est considéré comme une terre d’exil ou d’accueil pour les opposants politiques menacés de mort par les différents régimes de leurs pays. Ils viennent au Bénin pour bénéficier d’une bonne protection sociale et politique. Ils se sentent bien protégés. Est-ce que c’est le cas avec l’actuel président Thomas Boni Yayi ? Si c’est le contraire, avez-vous, vous journalistes engagés, attiré l’attention de votre gouvernement sur des réfugiés politiques menacés d’extradition par votre pays avec l’accord de leurs pays d’origine ?

Le Bénin fort heureusement d'ailleurs à toujours été et reste un pays très hospitalier. Nous n'avons rien perdu de la paix dont nous jouissons. En témoigne la proposition d'asile politique faite  à plusieurs personnalités politiques africaines. Ceci bien entendu conformément aux dispositions diplomatiques entre États. Nous n'avions donc pas eu sur notre territoire très récemment des sujets à polémique.

Toutes les rédactions à travers le monde ont des points communs et également des divergences. Vous animez un blogue, vous avez certainement une ligne éditoriale que vous tenez secret. Ceci relève certes de la stratégie qu’un journaliste doit avoir, même si dans un cadre général tous les hommes et les femmes de la presse déclarent tous luttés contre les maux qui minent leurs sociétés respectives. Vous Sinatou  Saka, quelle est la chose le plus importante à faire pour un journaliste ?

En tant que journaliste, pour moi le plus important reste notre intégrité et notre impartialité. Si ces deux facteurs sont absents,  il serait encore difficile de parler de journalisme à mon avis. Nous avons donc le devoir d'information vérifiée sans parti pris, car les populations réagissent en fonction de ce que nous journalistes, nous distillons. Alors si ceci n'est pas fait correctement,  les conséquences sont immédiates au sein de l'opinion.

Lorsque l’on est journaliste que l’on soit sorti d’une école ou formé dans le tas, existe-t-il des choses qu’un journaliste ne doit pas faire ou qu’il ne doit pas dire même si cela le lui coute la vie ?

Quelque chose qu'un journaliste ne doit jamais faire à mon avis reste le plagiat. À mon avis, ça reste une faute impardonnable en tant que journaliste. Parce que nous faisons nous aussi un travail intellectuel, il est intolérable d'abuser de celui des autres en notre faveur. J'estime par ailleurs que rester vrai et honnête est une qualité importante du journaliste qu'importe ce que cela lui coute.

12-La censure, l’autocensure et la rétention d’informations sont souvent considérées comme des virus qui dénaturent ou détruire le vrai journalisme. Quel est le niveau de la censure, de l’auto-censure et de la rétention d’informations de la presse béninoise ? Et que faites-vous concrètement pour lutter contre les mots dont nous venons de citer ?

Comme dans tous les pays, la censure mine aussi la presse béninoise, mais je dirais surtout les médias sous l'autorité de l’Etat car ils ont encore beaucoup de mal à être suffisamment indépendant pour partager les actualités des opposants au pouvoir. Quant aux autres, face aux derniers évènements dont ont été victimes certains journalistes, il est difficile de critiquer ouvertement le pouvoir en place en l'occurrence à la télé. Cependant les unions des professionnels des médias font de leur mieux pour tirer la sonnette d'alarme quand ça ne va pas.

Vous arrive-t-il parfois de dire : « être journaliste, cela ne sert à rien, puisqu’il ne me permet pas de vivre convenablement » ?

Non, jamais je ne pourrais penser ça déjà que je suis passionnée. Le journaliste a un rôle important dans la société. Il éveille les consciences et même s'il ne vit pas convenablement, il a la satisfaction de contribuer activement au développement et d'être utile. Et ceci n'a pas de prix.

Quand on survole votre blog, on tombe sur des mails de gens qui vous encouragent d’aller de l’avant. Est-ce que c’est du vrai encouragement ou de l’hypocrisie ? Pensez-vous que c’est normal que l’on puisse encourager un journaliste à écrire des articles engagés même si cela pouvait mettre sa vie en danger ?

J'ose croire que ce n'est pas de l'hypocrisie, mais de réels encouragements qui seraient aussi présents si un jour (je ne le souhaite pas) je me retrouvais dans une situation délicate. Maintenant les lecteurs ont le droit de me féliciter et je dois dire que ça fait vraiment plaisir,  c'est une source de motivation certaine. Au final, les lecteurs donnent simplement leurs avis, c'est moi qui rédige les articles fussent ils engagés ou crus donc je me mets en danger toute seule. C'est alors à moi de savoir être prudent.

Lorsque vous lisez des articles écrits par des journalistes occidentaux ou quand vous assistez à l’heure du grand journal télévisé par des chaînes françaises ou autres, sentez-vous proche à ce qu’ils font ou dites sur l’Afrique votre continent ou bien cela vous blessent parfois dans votre chair ?

Le traitement que font les médias internationaux de l'actualité africaine dépend vraiment des dits médias.  Il y en a qui font un travail très professionnel et d'autres bien sûr qui reste attaché à l'image pauvre et miséreuse du continent noir. Ce qui naturellement ne fait plaisir à personne. D'ailleurs dans ce sens je collabore en ce moment avec une plateforme dénommée Women and Africa qui diffuse sur internet une image positive des femmes africaines.

Enfin une dernière question qui parait d’ailleurs la plus simple. Si par exemple vous vous trouvez face à un président dictateur comme celui de la Syrie, du Tchad, du Soudan, de la Mauritanie, du Zmbabwé et on vous demandait de le lui parler yeux dans les yeux, que lui diriez-vous en tant que femme journaliste ?

Merci de quitter le pouvoir avant que le pouvoir ne vous quitte, car la suite sera très dure pour vous.

Propos recueillis par Ahmat Zéïdane Bichara/Moussa S. Yowanga

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