Informer sans travestir ni déformer, c'est notre combat !
1 Septembre 2013
Monsieur Makaïla Nguebla, vous êtes un objecteur d’opinions, d’origine tchadienne. Très engagé politiquement, vous animez un redoutable blog au slogan très révélateur : « une plume combattante au service de la liberté ». Par ailleurs, vous vous définissez comme un militant de Droits de l’Homme. Merci d’avoir bien voulu accepter cette interview du blog-infos : « Regards d’Africains de France.»
RAF : Mercredi 28 août 2013, vous étiez face aux parlementaires européens à Bruxelles Savez-vous les motivations qui les ont conduits à vous auditionner ?
Makaila NGuebla: Merci à vous chers confrères Ahmat Zeidane et Moussa Yowanga, pour l’excellent travail que vous abattez pour informer l’opinion publique au-delà des frontières. En effet, comme vous l’avez souligné, le 28 août 2013, j’ai été invité officiellement par la Commission Développement du Parlement Européen. Cette audition a duré une heure au lieu de 30 min comme prévu. Cela montre l’intérêt accordé par les parlementaires européens à la question tchadienne. Il s’agit bien entendu de leur parler de mon parcours, après les échecs successifs de deux tentatives de mon extradition vers le Tchad à la demande du régime d’Idriss Deby. L’audition a porté essentiellement sur le déficit démocratique, l’impunité, les violations récurrentes des droits de l’Homme et des libertés, et enfin, sur la problématique de l’aide publique au développement de l’Union Européenne et la gestion des recettes du pétrole au Tchad. À mon avis, les parlementaires européens veulent désormais savoir où vont les moyens financiers accordés au Tchad pour soutenir son développement et comment se gère l’argent du pétrole après la rupture du contrat entre le Tchad et la Banque Mondiale. Naturellement, notre position est connue : toutes les recettes du pétrole tchadien sont dilapidées par Idriss Deby, les membres de sa famille et les dignitaires de son régime.
En quoi votre intervention était digne d’intérêt pour les parlementaires européens et surtout pour le peuple tchadien qui vit un véritable enfer terrestre ?
Ma modeste intervention découle du simple fait que la situation sociopolitique du Tchad est alarmante. Les Tchadiens sont au bout du rouleau, la masse écrasante vit dans une précarité sans précédent alors que du côté du pouvoir, on remarque à vue d’œil, un enrichissement illicite et disproportionné d’une minorité au pouvoir. J’ai plaidé en faveur d’un appel au secours à un peuple tchadien en détresse. Ces faits méritent bien d’être connus par tous afin de mettre chacun devant ses propres responsabilités ou ses contradictions selon le camp auquel on appartient.
Sur quoi vous avez particulièrement insisté devant une institution relativement bien informée de ce qui se passe en Afrique en général, et au Tchad en particulier ?
Vous avez bien dit, une institution qui connait beaucoup sur ce qui passe au Tchad en particulier. Oui ! Je ne doute pas que l’Union européenne (U.E) est représentée au Tchad. Mais mon objectif est de dire aux parlementaires européens de rompre avec l’indifférence, si ce n’est la complaisance pour se prononcer sans langue de bois sur le drame tchadien. J’ai privilégié l’approche d’ingérence massive de la communauté internationale au Tchad. Parce que j’ai estimé que l’Union européenne n’est pas sensibilisée suffisamment sur le problème tchadien et c’est justement, ce qui peut justifier en partie, ma présence parmi ces parlementaires européens.
Suite à notre conversation téléphonique, vous avez eu l’air très satisfait à la sortie de votre audition, pourriez-vous dire pourquoi ?
Oui ! J’étais satisfait, parce que les différents intervenants m’ont rassuré dans le sens où j’ai eu le sentiment d’être entendu et mon cri de coeur pris en compte. Sachez, par ailleurs que la responsable en charge du Tchad était aussi présente dans la salle, lors de la plénière. Ce faisant, elle n’a fait que me réconforter dans mes convictions profondes et mon analyse critique de la situation globale du Tchad. Donc, je suis optimiste quant à l’avenir que la question tchadienne ne sera plus occultée.
Pensez-vous que le parlement européen soit parfois mal informé des pratiques antidémocratiques en vigueur au Tchad malgré les innombrables relais dont il dispose sur place ?
J’affirme que oui ! Mais, au regard du niveau et de la qualité du débat lors de cette audition, tout laisse à croire que l’Union Européenne est en train de reconsidérer sa politique au Tchad. Pour ce fait, elle a besoin d’un témoignage venant des Tchadiens eux-mêmes pour éventuellement agir par des actions concrètes en toute connaissance de cause.
Que vise-t-il directement avec votre intervention, ce parlement européen ?
la démarche du parlement européen est de vérifier où son argent part. Mais aussi de demander aux autorités tchadiennes de justifier toutes les dépenses engagées. Chose qui sera difficile pour le régime tchadien de justifier étant donné que les parlementaires détiennent des informations accablantes contre les autorités de N’Djamena. Wait and see !
Quand vous avez accepté l’invitation de la Commission Développement et paix du parlement européen, est-ce simplement pour vous, une tribune de plus pour dénoncer les tares du régime de N’Djamena ou pensiez-vous obtenir des parlementaires, un soutien politique dans votre combat légitime contre le pouvoir cynique et sanguinaire de Deby ?
À vrai dire, c’est une surprise que j’ai reçu un mail de la Commission au Parlement européen. Je n’avais pas personnellement sollicité d’intervenir. Mais, je savais que le parlement européen a suivi avec attention mon expulsion du Sénégal jusqu’à mon arrivée en France. Pour moi, c’est une opportunité de dénoncer les tares du régime et interpeller la conscience internationale sur le Tchad. Le reste, l’avenir nous le dira !
8-Pensez-vous que le parlement européen serait bien dans son rôle pour donner un coup de pouce à quelqu’un de votre profil, celui d’un opposant politique en quête de liberté pour soi-même et pour tout un peuple?
Mon profil est celui d’un militant pacifique soucieux de faire valoir la dignité humaine et les libertés. Si cela correspond aux critères recherchés par le parlement européen pour exiger plus de démocratie et les droits de l’homme au Tchad. Je me réjouis ! Ce qui est sûr, le rôle de la France est important au Tchad. Mais, désormais, elle doit se rendre à l’évidence que d’autres pays membres de l’Union européenne sont sensibilisés sur la question tchadienne. Les autorités françaises occultent un certain nombre de choses, mais cela ne les honore pas au regard des valeurs de dignité humaine qu’elles défendent partout dans le monde.
A l’instar d’autres présidents, le chef de l’Etat tchadien disposerait des biens immobiliers en France et ailleurs. Avez-vous évoqué le sujet avec les parlementaires européens ? Si oui, quelles étaient leurs réactions ?
Les parlementaires européens disposent d’un réseau pour déceler les biens d’Idriss Deby. Toutes les questions qui minent dangereusement la société tchadienne ont été évoquées au parlement européen. Donc, les biens mal acquis font partie.
Qu’avez-vous d’ailleurs obtenu comme un engagement ferme de leur part ?
On ne dit pas tout ici ! Il faut dire que la communauté internationale manifeste son intérêt sur le respect des droits de l’Homme et des libertés au Tchad.
Auriez-vous remarqué une partie de votre intervention qui a le plus attiré l’attention des parlementaires européens ?
Les parlementaires européens se sont intéressés à la question liée à l’incapacité de susciter des soulèvements populaires par le biais des réseaux sociaux au sud du Sahara et au Tchad en particulier.je leur ai répondu que l’accès à l’outil internet pose problème en Afrique où la connexion coûte trop cher et le taux d’analphabétisme reste un obstacle majeur dans le sens d’éveil de conscience populaire.
Y avait-il des questions jugées, à votre avis, plus intéressantes en rapport avec votre lutte politique et celle des autres forces vives de la nation qui refusent la fatalité ?
Toutes les questions posées ont été pertinentes et essentielles. Ce que j’ai retenu, c’est qu’il y a une volonté manifeste du parlement européen d’appuyer au Tchad et ailleurs la lutte des journalistes, activistes, blogueurs, militants — (es) des droits de l’homme qui travaillent dans le sens de la dignité et du respect des libertés dans leurs pays ! C’est déjà encourageant pour nous tous !
En Europe, le terme ethnie n’a plus la même valeur ou connotation qu’en Afrique à cause des manœuvres et pratiques politiques malsaines. Nul n’ignore vos prises de position téméraires contre Idriss Deby. Avez-vous concentré votre attaque sur lui comme étant Président de la République ou comme étant membre de la minorité zaghawa ?
vous avez trouvé vous-même la réponse. Ici en Europe, la question ethnique ne fait plus partie des préoccupations des gens. On voit seulement ce que vous pouvez apporter pour le développement de la société. Il n’en est pas le cas au Tchad et en Afrique où nous sommes encore très attachés à ces notions qui menacent l’unité nationale. À propos du Tchad, le problème est grave. Car, Idriss Deby s’appuie sur la fibre ethnique pour diviser les citoyens en se fondant sur des critères sociologiques qui remettent en péril la cohésion sociale. Il a réussi grâce au principe bien connu de diviser pour mieux régner. Cela entraîne ipso facto l’affaiblissement des communautés tchadiennes qu’elles soient majoritaires ou minoritaires, ce qui fait que les révoltes populaires comme les printemps arabe ont du mal à marcher.
Avez-vous eu de la gêne à employer le terme « ethnie » devant un parlement dont c’était la première rencontre?
Non pas du tout ! Pourquoi avoir de la gêne ? Il était question interpeller le parlement sur les dérives claniques et régionalistes d’Idriss Deby sans citer à quelle ethnique il appartient. C’est une façon de ne pas se ridiculiser devant une telle assise.
Le Président de la République accède au pouvoir par les armes, le 1er décembre 1990. Nous sommes en 2013. Il a 23 ans de règne. Que dites-vous ?
C’est inacceptable ! Idriss Deby est arrivé par les armes et s’est imposé par les armes sans aucune forme d’alternance démocratique et politique y compris à la tête de son propre parti qu’est le Mouvement patriotique du Salut (MPS). Nous dénonçons cela à longueur des journées. Mais, rien ne bouge. Seule une mobilisation générale des Tchadiens pourrait contraindre Idriss Deby à renoncer à se pérenniser au pouvoir. Celui qui a promis à son peuple ni or ni argent mais la liberté a fini par tout confisqué au grand dam de la masse populaire doublement arnaquée.
Vous connaissez bien la Tunisie. Puisque c’est de là que vos cauchemars politiques ont commencé avec votre expulsion. Le Sénégal, vous le connaissez mieux que quiconque. La Guinée Conakry, vous avez séjourné plus d’un mois après votre expulsion rocambolesque du Sénégal. Pourriez-vous comparer la lutte du peuple tchadien avec les attitudes de ces trois pays concernés ?
Il n’y aucune comparaison entre le Tchad et ces trois pays cités. Au Tchad, la situation est totalement bloquée. Alors qu’en Tunisie, le régime Ben Ali est parti grâce à un soulèvement populaire. Au Sénégal, Abdoulaye Wade a été battu par la voie des urnes. En Guinée-Conakry, il y a plus de liberté de presse et d’expression mieux qu’au Tchad et au Sénégal. Car, j’ai remarqué une liberté de ton sans égal. Les partenaires internationaux sont présents en Guinée et font un travail de « monitoring » remarquable, la société civile se bat sans être intimidée ni réprimée. Le cas tchadien est exceptionnel en Afrique et dans le monde. Il faut un travail de plaidoyer et de lobbying pour faire intéresser l’opinion internationale sans quoi, le pays sera toujours ignoré des instances internationales.
inutile de revenir sur les raisons de votre expulsion arbitraire du Sénégal. Vous avez été expulsé à 23 heures 30 minutes en vous retrouvant à l’aéroport Léopold Sedar Senghor de Dakar vers la Guinée Conakry .Normalement la bouche est bouclée. Mais pourquoi la société civile sénégalaise réclame-t-elle toujours votre retour dans leur pays, sachant surtout que vous êtes déjà en France dans un autre pays qui vous garantit la liberté d’expression et surtout une meilleure protection ?
Vous savez mon expulsion est commanditée par Idriss Deby en personne et son ministre de la justice Jean Bernard Padaré. Au regard de cette expulsion arbitraire du Sénégal et vous l’avez dit, après huit (8), ans, sans obtenir le moindre statut de réfugié en dépit de toutes les démarches menées auprès des autorités sénégalaises. L’octroi de visa à ma modeste personne par la France prouve une fois de plus qu’en Afrique les droits de l’homme sont bafoués y compris dans les pays dits « démocratiques ». Je déplore ainsi le sort des autres réfugiés soudanais, guinéens, ivoiriens, mauritaniens et autres qui attendent désespérément.
Pourquoi ne leur dites pas un mot ?
Aujourd’hui, la société civile souhaite mon retour parce qu’elle est consciente des conséquences qu’engendre cette expulsion pour le Sénégal qui s’est toujours distingué comme la vitrine démocratique de l’Afrique. Mais, fatalement, cette expulsion a remis en cause l’une des valeurs prônées par le peuple sénégalais. La démarche de la société sénégalaise est de restaurer son image sur la scène africaine et internationale. C’est un défi pour les organisations de la société civile sénégalaise qui travaillent sur la libre circulation des personnes et de leurs biens dans l’espace CEDEAO et en Afrique en général. Elles mènent une lutte légitime pour le respect des conventions internationales et sous-régionales signées et ratifiées par le Sénégal en matière de protection et défense des demandeurs d’asile et réfugiés politiques. Je les encourage à poursuivre leurs revendications !
Le président déchu, Hissein Habré se trouve actuellement entre les mains de la justice sénégalaise. Dans cette « Afrique de l’Ouest », cette zone qui fait parler d’elle dans le domaine de la corruption. Au Sénégal, certains journalistes radicaux considèrent la corruption comme « la première ressource » du pays après « les confréries religieuses islamiques », autour desquelles s’organise un véritable businessa. Qu’attendez-vous de meilleur de ce jugement ?
Votre affirmation est à nuancer. Car, au Sénégal, il y a aussi des hommes honnêtes, si on vient du côté des mouvements associatifs. La corruption gangrène le continent africain dans son ensemble. Ce que j’attends de ce procès Habré est qu’il mette un terme à la culture de l’impunité au Tchad. Mais aussi ce procès sera un passage obligé pour les dictateurs africains qui oppriment et réprime leurs peuples. Maintenant, c’est la volonté de juger Habré qui se pose en termes de débat.
Jusqu’à là, on ne prononce pas le nom de l’ex-chef d’État major en la personne d’Idriss Deby qui a personnellement piloté les massacres de septembre noir dans le sud du pays. Avez-vous dénoncé le marchandage politique et magouilles en haut lieu entre les autorités sénégalaises et tchadiennes ?
Vous savez, l’affaire Habré résulte de la volonté de l’Union européenne de lutter contre l’impunité au Tchad. Du moins, c’est leur position officielle. Mais, la responsabilité d’Idriss Deby est connue de tous et à tous les niveaux. Donc, le moment viendra où vous verrez que le nom de Deby sera évoqué au niveau institutionnel et c’est en ce moment que tout le monde saura la fin de ce régime décadent. Il y a évidemment un « deal » entre l’État du Sénégal et le régime Deby dans cette affaire. Car, pour les Sénégalais, le Tchad est une vache à lait, tous les responsables politiques sénégalais y compris le Président Macky Sall sont corrompus par Idriss Deby. Donc, à propos du Sénégal, rien ne nous surprend !
Avez-vous pu évoquer la disparition de certaines personnalités civiles et militaires comme Ibni Oumar Mahamat Saleh, Khamis Dokone et Abakar Gawi et bien d’autres avec cette commission du parlement européen ?
Avec les parlementaires, j’ai dénoncé l’impunité de façon générale au Tchad. Les personnes dont vous avez citées ne sont pas nommément évoquées. Mais, leurs disparitions sont extrajudiciaires et montrent qu’au Tchad, la justice n’est pas indépendante.
Qu’ est-ce qui vous semble essentiel pour conclure cette interview ?
Pour conclure, je tiens à remercier la députée européenne Éva Joly, présidente de la Commission Développement de m’avoir invité pour m’auditionner sur la situation qui prévaut au Tchad. C’est une considération et une consécration qui me réconfortent dans ma lutte pour la quête des libertés, du respect des droits de l’homme et la démocratie au Tchad.
Propos reccuellis par Ahmat Zéîdane Bicahra/ Moussa T. Yowanga