Informer sans travestir ni déformer, c'est notre combat !
5 Mars 2010
Thaddée Hyawe-Hinyi
Il est 5 heures du matin, ce dimanche de janvier. Dans le village de Cibumbiro, non loin de Bukavu à l'est de la RD Congo, Venantie prépare les régimes de bananes et les sacs de maïs, produits de son champ. Elle et ses deux filles de 13 et 17 ans vont les transporter sur leur dos jusqu'au marché de Mudaka, à 17 km de là, après la messe. Mêlées à la foule de femmes et de filles qui vont y vendre leurs marchandises, elles marchent tête baissée, le front ceint d'un bandeau qui supporte les dizaines de kilos qu'elles halent péniblement. Les hommes qui se rendent aussi au marché ne portent que leur transistor, une poule, un petit sac... Certains cheminent les mains vides. Venantie rentre à la maison vers 19 heures. Là, elle s’occupe du ménage, apprête le repas du soir qui n'est prêt qu'à 22 heures. Elle réveille alors ses trois enfants de moins de 10 ans déjà endormis qui ne mangent que la nuit. Au lit, bien qu'épuisée par cette rude journée, Venantie doit encore accomplir son devoir conjugal. "Je ne peux pas le refuser à mon mari, sous peine d’être répudiée", déclare-t-elle. Il y a quinze jours, elle s’était effondrée sous le poids du gros fagot de bois de chauffe qu’elle allait livrer à Bukavu. "Chaque jour, je dois nourrir ma maisonnée et assurer à mon mari 'sa bouteille de bière quotidienne’", explique cette femme de 35 ans qui a l'air d'en avoir plus de 50. Alfred, son mari, lui, passe le plus clair de son temps avec ses camarades à discuter politique, à écouter la radio ou à jouer aux cartes.
Pas de travail des hommes, pas de développement
La plupart des femmes du Bushi, la région montagneuse du Sud-Kivu, portent ainsi seules le poids de leur famille qu'elles font vivre au prix d'un travail incessant, dans la peur permanente de mécontenter leurs maris. Ceux-ci ne font pas grand-chose et attendent tout de leurs femmes transformées en portefaix pour les nourrir et leur payer à boire… Une situation dramatique pour de nombreux ménages, car la santé de ces femmes, esquintées par le port de fardeaux parfois plus lourds qu'elles, se détériore vite. La plupart ne vivent pas plus de 45 ans. Le revenu familial, fruit des efforts d’une seule personne, est faible. Les champs sont peu rentables car les femmes n'ont pas la force d'effectuer tous les travaux agricoles." Dans ces villages, aucun développement n'est possible. Le contraste est saisissant avec les rares couples qui cultivent ou mènent d'autres activités ensemble : ils jouissent d’un revenu plus important et le foyer se porte bien. "C’est le cas d’un couple voisin où la femme est infirmière et dont le mari s’occupe des champs", déclare Venantie. La plupart du temps, les femmes subissent ces mauvais traitements sans rien dire. Rares sont celles qui se révoltent comme Mama 80. Un jour, elle a prévenu son mari qu’il ne mangerait plus s’il ne travaillait pas. "Et je l’ai fait ce jour-là. Le lendemain, il avait réparé le clapier", raconte-t-elle. "Désormais, nous allons ensemble au champ trois fois par semaine et je bois moins", reconnaît son mari.
La coutume et les guerres
Cette soumission des femmes est liée à la tradition. En mariant sa fille, la mère lui demande de toujours s'en référer à son mari et de faire sa volonté. "Nous sommes les sujets de nos époux, en déduisent les femmes. Notre lot, ce sont les corvées ménagères." S'appuyant sur ces coutumes, découragés par l'insécurité qui a longtemps sévi dans les campagnes et par le manque d'emploi en ville, les maris ont démissionné de leurs rôles de soutien de famille ce qui ne laisse plus d’autres choix aux femmes que de se démener "pour ne pas abandonner la progéniture et mériter de rester dans le foyer, dit amèrement une paysanne de l’association Rhudosanye à Katana, sinon, votre mari vous répudie." Les associations et les Églises sont effarées par cette oisiveté des hommes, qu'on retrouve aussi en ville, et par ses conséquences néfastes sur l’économie des familles. Plusieurs essaient d'aider les femmes, de faire évoluer les mentalités et de convaincre des bienfaits de l’implication de l’homme comme de la femme dans les activités familiales.