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REGARDS D'AFRICAINS DE FRANCE

Informer sans travestir ni déformer, c'est notre combat !

Tchad : "Le cinéma a besoin de la Télévision et la Télévision a besoin également du cinéma", Allamine Kader Ben Kader.

Regards d’Africains de France, votre journal en ligne vous fait découvrir le jeune cinéaste tchadien Allamine Kader Ben Kader, réalisateur de documentaires. Merci d’avoir accepté cette interview écrite qui se focalise essentiellement sur vos activités professionnelles du cinéma africain en général et tchadien en particulier.

Qui êtes-vous monsieur ?

Allamine Kader Ben Kader:Je suis Allamine Kader, jeune réalisateur tchadien. Diplômé de l’université Gaston Berger de Saint Louis du Sénégal, Master 2 en Réalisation documentaire de l’année 2014, major de la promotion. Je suis actuellement le sous-directeur de programmes de la Télé-Tchad. J’appartiens à plusieurs associations des jeunes Tchadiens ou autres.

Beaucoup de gens vous connaissent en tant que professionnel des médias, puisque vous avez occupé le poste de Sous-directeur des Programmes à l’ex-ONRTV (ex-Office National de Radiodiffusion et Télévision du Tchad) et avez assuré pendant longtemps la fonction de réalisateur. Lentement, mais sûrement vous êtes en train de vous définir désormais comme cinéaste. Comment êtes-vous arrivé là ?

En 2011, l’ex-ONRTV a envoyé une partie du personnel en formation à Niamey au Niger (Afrique de l’ouest). Il y avait des journalistes, des technico-artistiques et des producteurs (radio et TV). En ce qui me concerne, j’étais de l’équipe des producteurs. Arrivé sur place et tout à coup, la formation des producteurs n’étant pas possible (moins nombreux, 4 étudiants seulement). Finalement nous avons été orientés vers la réalisation des documentaires. C’est le hasard qui a fait de moi un réalisateur mais je ne regrette pas ce choix aujourd’hui.

Qu’est ce qui explique un tel virage professionnel ?

Je suis venu à la réalisation par hasard comme je l’ai dit ci-dessus. Et le hasard fait parfois bien les choses. Aujourd’hui, je suis l’un des rares réalisateurs documentaristes formés au Tchad.

Pourquoi avez-vous décidé d’être cinéaste ?

Je retrouve dans le cinéma la meilleure manière d’exprimer mes pensées, de porter un autre regard sur ma société qui a besoin du cinéma pour sa survie. Puisqu’ au Tchad, nous avons trop souffert des affres de la guerre. Le cinéma est le meilleur canal qui permet de former les esprits, consolider et réfléchir autrement à notre vie. A travers le cinéma, je m’exprime librement sans contrainte.

Vous êtes passé de la presse orale au cinéma de façon presque inattendue. Pourquoi ?

Le cinéma a besoin de la Télévision et la Télévision a besoin également du cinéma. Pour exprimer librement ses idées sans aucune contrainte d’un « chef » quelconque ou d’une ligne éditoriale donnée. Mon choix pour le cinéma est libre même si c’est le hasard.

Peut-on dire que le journalisme ne vous a jamais intéressé dès le départ pour d’autres raisons ?

Pas d’autres raisons.

Vous venez de produire votre premier film. De quoi s’agit-il ?

Ce nouveau-né dans le cinéma tchadien et africain, a pour titre « la Promesse du Biram ». Le Biram est un instrument de musique traditionnel auquel le peuple Boudouma, riverain du Lac-Tchad menacé de disparition, attribue des pouvoirs sacrés. Malam maman Barka est le dernier maître détenteur du mystère et du secret artistique qui entoure le Biram. Dans sa quête d’un nouvel initié sur la terre du Biram, je l’ai accompagné pour connaître les légendes qui entourent l’instrument qui fait danser les eaux du lac et attire les poissons. C’est un projet que j’ai développé depuis 4 ans avec Malam Barka quand j’étais à Niamey au Niger dans le cadre de ma formation en réalisation documentaire. Le film vient de sortir le 19 Novembre 2016. Il a fait déjà trois (3) festivals : Escales documentaires de Libreville au Gabon, Festival international de Saint-Louis au Sénégal et vision documentaire de N’Djaména au Tchad.

Le thème de votre film parle d’un instrument de musique utilisé dans le passé par un groupe ethnique de l’ouest tchadien. Pourquoi êtes-vous parti très loin de votre région le Guéra que vous connaissez plus que quiconque, même si on reconnait en vous votre attachement sur le Tchad dans sa totalité ?

Mon deuxième projet de film porte sur une pratique qui a disparue de ma région. Et je me fais le devoir de chercher à comprendre. Au, fait, Je suis né et grandi à N’Djaména. Mon père est originaire du centre du pays, une région montagneuse. Les populations de cette région sont appelées « Hadjaraye » c'est-à-dire descendants de montagne. C’est aussi le nom d’ensemble des montagnards habitant le massif central tchadien. Mawa, village natal de mon père est situé à 500 km de la capitale N’Djamena au pied d’un massif montagneux. Je n’y ai jamais mis pied. A l’époque, nos arrières parents pratiquaient, un rituel sacré appelé « Margaï » disparu, il y a de cela plusieurs années. Le Margai, le génie de la montagne est invoqué pour une bonne pluviométrie pour prétendre faire des bonnes récoltes. C’est aussi un pouvoir surnaturel qui agit à la demande de la population. Ce rituel était un facteur déterminant dans la vie sociale, culturelle, politique et spirituelle des Hadjarayes. En abandonnant ce rituel, ces derniers ont tout perdu. Selon leur version, cette pratique est contraire aux deux religions révélées dominantes : l’islam et le christianisme pratiqués dans la région. Je m’interroge sur le passé de mes parents tout en cherchant à connaitre l’histoire de Margaï.

Quel message voudriez-vous passer à vos collègues cinéastes tchadiens et autres ?

Le message que j’adresse aux amis cinéastes tchadiens est le suivant : il faut d’abord avoir les outils nécessaires pour faire un bon film. De nos jours, tout le monde se dit réalisateur sans un minimum d’expérience en réalisation. Aujourd’hui, nous sommes envahis par des images de toute sorte. L’essentiel c’est de professionnaliser le secteur pour vendre l’image positive et vraie du Tchad à l’international.

Que voulez-vous apprendre au grand public tchadien à travers ce film ?

C’est vrai, il faut souvent faire de film avec des sujets qui sont proches de nous. « La Promesse du Biram » est un sujet qui me parle et aujourd’hui la disparition du Lac-Tchad préoccupe non seulement le Tchad, mais c’est le monde entier qui en parle. C’est l’une des thématiques abordés aussi dans le film.

Le Guéra, vous semble-t-il objectivement un endroit prometteur en matière du cinéma ?

Sur le plan cinématographique, le Tchad est vraiment vierge. Il y a beaucoup de richesse culturelle à exploiter, pas seulement dans la région du Guéra, mais du pays tout entier qui peut faire entrer des recettes et découvrir le pays. C’est un secteur qui promet. Une niche qui dort. Je suis tenté de dire qu’on peut oublier le pétrole. Rire !

Votre film a été entièrement monté en France. Quelles sont les raisons à cela ?

Les raisons sont simples. Et c’est un choix dans le cadre de la coproduction. La partie post production se fait en France selon le contrat qui nous lie avec les producteurs du Nord. Nous bénéficions souvent des aides du centre National de la cinématographie (CNC) et c’est normal que l’argent soit dépensé en France. Nos Etats africains ne veulent pas mettre de l’argent pour l’émergence du cinéma à l’exception des quelques pays comme le Sénégal, le Burkina, le Mali, le Niger etc…

Quelles sont d’ailleurs les difficultés que vous avez rencontrées pour ce premier film découvert par le public comme un nouveau-né ?

La première difficulté est d’ordre financier, ensuite technique puisqu’au Tchad et même un peu partout en Afrique, il n’y a pas des techniciens de films surtout documentaires. Il y a des cadreurs de Télévision, mais pas vraiment pour faire de films documentaires ou fictions, alors nous sommes contraints de faire venir des techniciens de l’Europe et qui nous coûtent énormément chers.

Quel regard portiez-vous avant sur le métier de cinéaste considéré de difficile par vos aînés comme l’actuel ministre Mahamat Saleh Haroun ?

C’est un métier trop exigeant, avec la nouvelle vague des cinéastes tchadiens, nous allons relever le défi. Tout en sachant que la tâche n’est pas facile, mais nous comptons d’abord sur nous-mêmes avant de faire appel aux bonnes volontés de nous accompagner dans cette œuvre humaine et salvatrice pour notre pays. Surtout nous saluons l’appui technique et parfois financier de notre aîné Issa Serge Coelo. Je profite de l’occasion pour le féliciter pour sa désignation comme président du jury de courts métrages et série TV au FESPACO. C’est un honneur pour le cinéma Tchadien. Et aussi féliciter l’excellence monsieur le ministre Mahamat saleh Haroun pour sa nomination à la tête du ministère de la culture.

Et quel regard portez-vous aujourd'hui de ce métier  en votre qualité de jeune cinéaste ?

Notre métier est rempli aujourd'hui  des amateurs qui se disent réalisateurs. Donc il y a une sorte de confusion pour le public.

Définissez-vous comme un cinéaste engagé ?

Nous sommes tous engagés chacun dans son domaine par rapport à ce qu’il fait. En tant que cinéaste, mes projets sont des faits de ma société que j’identifie à travers mes films. Et aussi de temps en temps interpellé le décideur sur tel ou tel phénomène qui gangrène notre société. Si c’est ça, je suis un réalisateur engagé.

D’où vous provient votre force ou votre point fort dans ce métier ?

Ma force, je puisse dans ma société remplie de beaucoup d’histoires, de légendes et de sujets à traiter cinématographiquement. Comme je l’ai dit si haut, le Tchad est vierge dans le domaine du cinéma. Donc c’est une chance inouïe pour nous réalisateurs d’exploiter pour satisfaire nos téléspectateurs tchadiens, africains et aussi mondiaux

Et de qui et de quoi vous provient vos faiblesses dans ce métier qui est le cinéma ?

Mes faiblesses résident dans le manque de moyens financiers pour réaliser mes films. Dans d’autre pays, il y a un fonds destiné pour la réalisation de films. Au Tchad, il existe une direction générale de fonds d’appui aux artistes (FONAT), mais cette direction générale n’existe que de nom. Même pas un rond pour financer le cinéma. Peut-être avec l’arrivée de Mahamat Saleh Haroun comme ministre de la culture les choses changeront.

Les autorités tchadiennes vous soutiennent-elles comme il se doit ?

Le métier du cinéma est un métier difficile et complexe. Sans l’aide de l’Etat et des partenaires c’est très difficile de faire de films. Je connais quelques aînés qui ont abandonnés la réalisation de films faute de moyens et de subventions de l’Etat.

Et quelles relations entretenez-vous avec le public tchadien et africain en général ?

Le public tchadien aime son cinéma, mais malheureusement, il ne trouve pas ce cinéma à sa portée. Nous avons une chance d’avoir une belle salle de cinéma le Normandie mais pas de films tchadiens disponibles. Si nous faisons la moyenne annuelle de sortie de films, au Tchad c’est nul pour faute de moyens financiers.

Vous sentez-vous libre dans la réalisation de vos films ?

Franchement, nous n’avons pas les mains libres pour faire des films sans être inquiété au Tchad. Puisque si le sujet touche à la chose publique surtout à l’Etat, c’est difficile d’avoir même l’autorisation de tourner.

Qui, d’après vous, sert l’un de deux, en parlant justement du cinéma et de la politique ?

Faire le cinéma sans toucher à la politique, c’est possible mais quel genre de films ? C’est difficile de faire de films sans toucher à la politique. Je parle bien sûr de films documentaires qui dénoncent, qui surprennent et parfois qui conscientisent les téléspectateurs.

Pourriez-vous nous donner votre opinion sur la crise financière et sociale au Tchad ?

La seule chose que je peux dire pour cette question, que c’est vraiment regrettable que le Tchad rencontre ces difficultés financières après plus de dix (10) ans d’exploitation du pétrole.

Et comment se porte actuellement le peuple tchadien en termes de paix sociale du gagne-pain des fonctionnaires, des étudiants, et des pauvres citoyens souvent sans ressources ?

Petit à petit les choses sont en train de rentrer dans l’ordre, puisqu’il y a une accalmie de la tension sociale, les cours reprennent petit à petit dans les établissements publics. Donc l’espoir est permis pour une maîtrise progressive de la situation de crise financière au Tchad.

Quels conseils pouvez-vous prodiguer aux autorités pour juguler la crise actuelle ?

Il faut vraiment une maîtrise totale surtout de recette de l’Etat. Les régies financières de l’Etat doivent être gérer par des hommes et femmes honnêtes et qui ont peur de Dieu. Mais si voler est un acte de bravoure nous allons de mal en pis.

             Propos recueillis par Ahmat Zéïdane Bichara/Moussa T.Yowanga

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