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REGARDS D'AFRICAINS DE FRANCE

Informer sans travestir ni déformer, c'est notre combat !

Carnet de route de Nadjikimo Benoudjita : Une histoire abracadabrantesque(made in Cameroun).

L'histoire que je m'en vais vous conter, est celle d'un jeune Camerounais, la vingtaine avancée ou la jeune trentaine...Une histoire à se demander si?
Bon, je la raconte d'abord et vous la jugerez vous même.

Le jeune Camerounais, Essono Mba, se rappelle de son entrée à la Fac comme si c'était d'hier, et pourtant:
Je vous assure que lorsque j'y pense c'est comme si mon cerveau allait prendre feu comme çà, mais je me dis que, enfin, ainsi va la vie et il ne faut pas que je me décourage même si mes amis avec lesquels je suis entré en fac en 2008 sont en passe de soutenir leurs thèses de doctorat, alors que j'en suis à courir après cette licence. 
Mince, moyen de taille, un visage agréable sans être un adonis, Essono s'exprime dans un français châtié avec un débit fluide et cohérent. Debout, face à mon bureau, il dodeline de la tête et caresse au menton, son léger collier de barbe. J'évite de l'interrompre et, après une pause marquée par une grosse inspiration, il reprend...
Hum, monsieur! Trouvez-vous cela normal ?
 
Je regarde Essono qui affiche un masque d'embarras. je lui fais signe de s'asseoir et l'encourage à parler en orientant mon regard vers l'écran de mon ordinateur...
J'ai repris ma première année pour n'avoir pu valider une UV que j'ai reprise sans succès au cours de deux semestres consécutifs. Le comble est que j'ai obtenu, curieusement la même note les deux fois que j'ai composé cette matière.
Essono, s'énerve même si la voix reste calme:
Monsieur, admettez qu'il me faut être le dernier des cancres ou, quelque part maudit, par je ne sais quel sort, pour reprendre exactement les mêmes erreurs conduisant à la même note!
J'en conviens sur un : « Je comprends que c'est difficile à comprendre et à admettre. »

Et Essono de poursuivre: Monsieur, je reprends l'année, rien que pour cette matière. Tout une année, monsieur ! Martèle gentiment Essono. Et: la même note, le même 3!
Là, poursuit-il, je n'ai rien compris! Tellement rien compris que j'en tombe malade, monsieur pour de vrai! Et j'ai ainsi perdu cette deuxième année.
Je lui demande ce qu'il a fait au cours de cette année.
J'ai failli décrocher monsieur! D'abord c'était l'idée de suicide qui me hantait, puis, je me suis dit, tant qu'à disparaître, pourquoi ne pas tenter l'aventure de la Méditerranée? J'ai touché l'idée de partir en Libye pour affronter la Méditerranée, à mon petit frère mais il s'y est catégoriquement opposé.
Dieu merci, car de mes trois compagnons avec lesquels nous avions envisagé de partir, un seul est arrivé en Italie et m'a fait signe de vie. Les deux autres sont portés disparus. Sont-ils vivants et prisonniers ou esclaves quelque part en Libye? Sont-ils morts de soif, de maladie ? Ou noyés, en tout cas, Ahmadou Belloh, c'est le survivant, me décourage de tenter l'aventure:

« Pour rien au monde, m'a-t-il répété, martelé! Tu m'entends, n'essaye même pas dans le rêve de faire cette aventure, mon frère, c'est l'enfer. Si on te ment que quoi, quoi, quoi; n'essaye pas ! Même ici en Italie, on est parqués comme des prisonniers dans des camps. » L'histoire de Belloh et la réaction de mon frère, voilà ce qui m'a sauvé la vie.
Mais que votre petit frère vous en dissuade c'est quand même admirable non? Je lui dis pour relancer son témoignage.

Oui, monsieur! Moi et mon petit frère, nous sommes comme des jumeaux. Il m'a dit:
Essono, si tu pars, qu'est-ce que je vais devenir? Qu'est-ce que maman va devenir? Et si tu meurs là-bas chez les Arabes là, tu sais que maman ne tiendra pas! Elle va mourir aussi?
Les paroles de mon frère m'ont convaincu de rester, et c'est comme ça aussi que je vais décider de reprendre pour en finir avec cette maudite unité de valeur. C'est là où vous n'allez rien comprendre monsieur! 
Plongé dans mes pensées sur les risques que comportait l'aventure méditerranéenne, je sursaute sur cette interpellation de Essono, écarquille les yeux et lui lance un : 
Ce n’est pas possible ! Inapproprié qui a quand même le don de le relancer:
Oui, monsieur! Vous avez raison de dire que ce n’est pas possible. C'est comme si vous connaissiez la suite !
Je passe la première session à préparer sérieusement l'affrontement avec l'UV et, quand je viens à la fin pour connaître les programmations au service informatique, c'est là que le monsieur qui est là me sort que:
Jeune homme, vous êtes programmé pour passer les épreuves de deuxième année, vous n'avez aucune session à reprendre ! Je tombais à la renverse monsieur ! Mon cœur battait on dirait le tambour du village. Donc, je suis en deuxième année et dois passer des épreuves sur des cours que j'ignore!
Tu ignores comment, Essono? Je lui demande.
Mais je n'avais pas mis les pieds après les inscriptions de la rentrée, à la fac! Je me suis contenté de préparer cette épreuve sur les cours que j'avais déjà, me disant que le professeur là, s'il ne me voyait pas, allait m'oublier et oublier jusqu'à mon nom pour ne corriger que les épreuves! Je lui demande donc qu'est-ce qu'il a fait.
Mais monsieur, même si je suis Camerounais, c'est impossible! Je n'ai donc validé aucune matière de ce premier semestre de la deuxième année que j'aborde trois ans après mon entrée en fac et, je me retrouve donc, à aborder un deuxième semestre avec des cours dont les premières parties étaient dispensées au premier. La malchance donc! L'année se termine et je dois la reprendre. Enfin, je veux dire, la deuxième année après quatre années de fac. Bref, ma licence, je l'ai obtenu après cinq ans de fac, comme si j'avais fait un cursus de master. Voilà pourquoi je vous dis que mon cerveau est dans tous les sens.
Essono interrompt son histoire. Il doit se rendre à une rencontre d'animation de groupes de jeunes du CEFAN où il est très actif et très sollicité. Je lui demande si ces séances ne sont pas couvertes par des professionnels en animation. Il me répond:
Monsieur, il y a des professionnels qui animent, mais je ne sais pas pourquoi c'est quand c'est moi qui anime que les jeunes aiment au point que, lorsque je ne suis pas là, ils ne viennent pas ou ils quittent les réunions!

Un paradoxe n'est-ce pas? Au delà des difficultés qu' Essono, visiblement pour des raisons indépendantes de sa volonté ou, par mauvais concours de circonstances, rencontre pour son parcours universitaire, il est sollicité pour des séances d'animation qu'il maîtrise mieux que des professionnels ayant régulièrement suivi leurs parcours universitaires. Ces talents, ces compétences transférables, ailleurs, par exemple en Amérique du Nord, on les lui valide. Il reste que toute l'histoire de cet Essono, reste abracadabrantesque. 
Ne trouvez vous pas? Racontez-nous des histoires semblables. Partagez vos expériences de jeunes: vous rêves, vos défis, vos peurs. Parlez-en. Plus on est des fous, plus on rit.

Contribution spéciale de l’ancien D.P de Notre Temps Nadjikimo Benoudjita avec l’appréciation de la Rédaction. Article publié  sur les réseaux sociaux depuis le samedi 5 mai 2018

 

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