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REGARDS D'AFRICAINS DE FRANCE

Informer sans travestir ni déformer, c'est notre combat !

Tchad: La liberté de la presse en danger, à la veille des élections

                                              D.P Déli Sainzoumi Nestor, Eclairages

La Haute Autorité des Média et de l’Audiovisuel (HAMA) a lancé le 07 septembre 2020, une série de sanctions contre les médias et journalistes de la presse privée pour non-conformité à la loi liberticide n°031 du 03 décembre 2020, portant ratification de l’ordonnance relative au régime de la presse écrite et des média électronique au Tchad. Douze journaux sont suspendus et plusieurs autres ont reçu des mises en demeure pour une période de trois mois.« Contre ces décisions cyniques et iniques de la HAMA », le Mouvement citoyen pour la préservation des libertés (MCPL) a lancé, ce 15 octobre 2020 une Campagne de protestation. Pour elle, les menaces qui pèsent sur la presse privée, surtout sur les journaux qui participent depuis le début des années 1990 à la longue marche du processus démocratique au Tchad, à travers l’expression des points de vue divergents ne se justifie pas. Le MCPL s’indigne contre la vague de décisions de la HAMA qui entravent le bon fonctionnement des journaux, en cette période où le monde fait face à la pandémie de coronavirus (covid-19). « Depuis un temps, la HAMA brandit l’Ordonnance n°025 du 29 juin 2018 relative au régime de la presse écrite et des média électroniques au Tchad pour suspendre les journaux pour défaut de conformité à la loi. D’autres titres de la presse écrite, et non des moindres, ont reçu des lettres de mise en demeure. C’est dire que d’ici à décembre, l’on va procéder à la fermeture de presque tous les journaux. Le tour des radios viendra à coup sûr. Le fallacieux prétexte d’être journaliste de formation avec bac+3 en journalisme pour désormais prétendre diriger un journal ou être rédacteur en chef est un faux argument. Le président de la HAMA cite pêle-mêle la loi, mais il oublie royalement que le principe de la non-rétroactivité de la loi est prescrit dans le Code civil. La loi s’applique à partir du jour où elle est mise en vigueur », a déclaré le Coordonnateur du MCPL, Sosthène Mbernodji. Pour lui, loin d’être un problème de personnes et des diplômes, le problème des médias au Tchad est d’ordre institutionnel. « L’Etat doit plutôt accompagner les organes de presse privée, qui tirent le diable par la queue, à se professionnaliser au point d’être de véritables entreprises de presse au lieu de s’acharner contre eux. Suspendre, fermer des journaux est un recul démocratique », a expliqué Sosthène Mbernodji. Contre ce programme de mise à mort des journaux privée indépendante, le MCPL a sollicité, à travers son point de presse du 15 octobre, l’adhésion des directeurs des journaux suspendus ou menacés de fermeture, des activistes, des militants des droits humains, etc. « pour une série d’actions dès la semaine prochaine ».La nouvelle loi exige aux principaux responsables des médias des diplômes de niveau Bac+3 en journalisme. Ce qui est aberrant dans un contexte de la globalisation où les institutions de formation supérieure et les universités s’arriment au système LMD, qui met en valeur la transdisciplinarité. Dans ce contexte où les Nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) constituent de sources d’information, de formation, ramener le métier de journaliste dans des débats sur une formation spécifiquement fermée relève d’une pensée de thuriféraires.

Le journalisme d’hier et d’aujourd’hui ne se sépare pas de l’interdisciplinarité, puisque, même à l’école de journalisme, les modules et autres programmes de formation ne mettent pas sous un boisseau retourné la culture générale. Ce clivage disciplinaire qu’impose la loi 031 du 03 décembre 2018, portant régime de la presse écrite et des média électroniques au Tchad, est, selon le Président de la Ligue tchadienne des droits de l’Homme, Max Loalngar, une « honte ». Pour le responsable du bureau Afrique de RSF, Arnaud Froger, « si l’enjeu de la professionnalisation des médias doit nécessairement passer par des investissements dans la formation, le niveau de qualification ne peut pas conditionner l’exercice du journalisme ». Car, poursuit-il « ces dispositions et les sanctions qui en découlent sont complètement illégitimes. Elles restreignent très abusivement les conditions d’accès au journalisme et visent des responsables de publications qui exercent parfois depuis très longtemps ».Sous d’autres cieux, le journaliste est un professionnel, c’est-à-dire l’homme qui est au carrefour des différents savoirs et non un béotien au service d’un régime totalitariste. Les journalistes spécialisés sont-ils des personna non grata au Tchad ? Quelles sont, en réalité, les qualités requises pour diriger un organe de presse ? Que vaut un diplômé (Bac+3 en journalisme) devant un praticien, diplômé de l’enseignement supérieur qui exerce le journalisme depuis de nombreuses années, lorsqu’on sait que même les écoles de formation en journalisme les plus cotées du monde ne peuvent garantir à leurs étudiants un recrutement dans une rédaction juste après l’obtention de leur parchemin. Qui a dit que l’on sort de l’école de journalisme pour devenir Directeur de publication ? Détenir un diplôme de bac +3 en journalisme n’est pas forcément un impératif pour devenir Directeur de publication ; car rien ne remplace l’expérience de terrain. Pour quelles raisons, les autorités de la HAMA veulent remettre en cause les formations complémentaires organisées au Tchad en faveurs des professionnels des médias par des institutions telles que l’Agence française de Presse (AFP), le Projet de renforcement du secteur des médias dans le processus démocratique au Tchad (GRET-Tchad), le Service Culturel et de Presse de l’Ambassade des Etats-Unis au Tchad, le Fonds National d’Appui à la Formation Professionnelle (FONAP), etc.? Pour dire vrai, aucune formation spécifique n’est absolument obligatoire pour pratiquer le journalisme. Ainsi donc, aller en guerre contre des personnalités du secteur privé qui exercent le métier de journaliste depuis de nombreuses années, c’est vouloir simplement la mort de la jeune démocratie tchadienne, surtout que le Tchad demeure encore l’un des rares pays d’Afrique dont le paysage médiatique est moins diversifié. Depuis bientôt 20 ans, il n’y a qu’un seul quotidien (Le Progrès) qui paraît à N’Djaména. Les quelques publications hebdomadaires et mensuelles qui existent ne sont pas réguliers dans les kiosques, à cause, notamment du coût élevé de l’impression. Le seul défi, le plus pressant de l’heure demeure celui de la transformation des médias privés en de véritables entreprises de presse. C’est de ce côté que la HAMA peut être exigeant avec les fondateurs et promoteurs des journaux. La question de niveau de formation et de diplômes n’est qu’une échappatoire pour pendre ces roseaux (médias) qui plient sans rompre dans un Tchad où il est difficile d’entreprendre. Si entrer en journalisme était une question de formation, le célèbre quotidien camerounais, Le Messager n’aurait jamais vu le jour et son fondateur Pius Njawé n’aurait jamais bénéficié de l’hommage du monde entier lors de ses obsèques en août 2010. Pius Njawé, ce vendeur à la criée, devenu fondateur de Free Media Group et directeur de publication du journal Le Messager n’est pas passé par une école. Très tôt, il a compris que l’Ecole supérieure internationale de journalisme de Yaoundé (ESIJY, aujourd’hui ESSTI) n’était pas fait pour lui. Sans diplôme, ce vendeur à la criée a été employé par un hebdomadaire (La Gazette) et ne vivait que des piges avant la création de son propre journal Le Messager. Une anecdote : Pius Njawé était très critique à l’égard du régime de Paul Biya ; mais lorsqu’un ministre a voulu interdire son journal, le président de la République s’est opposé à cette maladroite décision, en notifiant que : « Le Messager est un mal nécessaire ». Comme pour dire que ceux qui suppriment en cascade les journaux privés au Tchad sont contre la politique du maréchal du Tchad, Idriss Déby Itno.

Rien de plus. Ces journaux sur lesquels est suspendue l’épée de Damoclès font face au défi de la rentabilité économique, et leurs patrons sont au four et au moulin. Les traquer alors qu’ils n’ont commis aucun délit de presse est une hérésie scientifique, un mal politique. Le constat est amer : à travers ses dernières décisions, la HAMA vient montrer à la face du monde qu’elle est pire que le coronavirus (covid-19). Elle suspend certains journaux et met en demeure d’autres sans crier gare ! Pendant ce temps, ce sont de jeunes diplômés sans emploi qui sont jetés en pâture. A voir de près, rien ne doute que cette institution, tel un prédateur choisit ses proies en tenant compte de leur taille. Voilà pourquoi on peut conclure aisément que la loi 031 n’est pas arrivée par hasard ; elle est née sous le règne des nécrophages de la 4ème République qui ternissent l’image de l’Etat tchadien.Pour avoir examiné les récentes mises en demeures de plusieurs journaux privés sous prétexte que leurs directeurs « ne remplissent pas les conditions requises pour occuper le poste », le Mouvement citoyen pour la préservation des libertés estime que la HAMA est allée trop loin. C’est pourquoi, il entend mener dans les jours à venir plusieurs actions à l’exemple de la lettre de protestation rendue publique et déposée à la HAMA ce 15 octobre 2020. Une source informe que d’autres activistes et militants des droits humains emboîteront le pas au MCPL. Et ce, pour rappeler aux autorités de la HAMA que le rôle assigné à leur institution à travers la loi 032 est « de réguler les activités relatives à l’information, à la communication, de garantir la liberté d’expression, de veiller au respect des règles déontologiques et de la législation en matière d’information et de communication » et non de sévir en prédateur de la liberté d’expression et de la presse.Encore faut-il le dire, dans le Classement mondial de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières (RSF), le Tchad occupe la 123e position sur 180. Ce qui n’est pas du tout agréable.

                       Collaboration Journal Eclairages/Regards d’Africains de France

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