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REGARDS D'AFRICAINS DE FRANCE

Informer sans travestir ni déformer, c'est notre combat !

Interview : « Il est important de se regarder au-delà de nos différences que ce soit en matière de sexe, de religion ou de couleur de peau. On est juste des êtres humains avec chacun nos forces et nos faiblesses et nous méritons tous le respect, être un être humain suffit déjà pour mériter ce respect », martèle la réalisatrice centrafricaine, Pascale Gabriella Serra.

Ayant obtenu le prix spécial des films de Femmes lors de la 9éme Edition du Festival international, la réalisatrice centrafricaine, Pascale Gabriella Serra a bien voulu aborder avec nous des questions essentielles liées à sa profession et celles touchant à la situation mouvementée de son pays. La Rédaction de Regards d’Africains de France qui se veut un cadre de liberté d’expression dans le respect d’opinions diverses voire divergentes, a le plaisir de vous offrir cet entretien exclusif en guise de cadeau de fêtes de fin d’année 2008.

Vous êtes réalisatrice de films documentaires, cadreuse et monteuse. Pourriez-vous nous retracer votre brillant parcours professionnel ?

L’aventure a commencé à Cotonou au Bénin en 2000, au sein d’une chaîne de télévision privée. Je co-animais une émission culturelle. Mais ce qui m’a le plus captivé, c’est tout le travail qui était fait en amont : partir sur le terrain avec l’équipe, rencontrer les personnes à interviewer et revenir faire le montage. Après avoir fait de l’animation pendant trois ans, j’ai eu envie de me perfectionner dans une école. Je me suis donc ensuite rendue en France où j’ai pu suivre une formation au Conservatoire Libre du Cinéma Français.

Assumez-vous facilement le fait d’être femme réalisatrice de films documentaires dans un pays en conflit armé interne depuis 2013 ? Et comment vous êtes-vous  imposée ?

 

Au début, cela n’était pas facile et encore aujourd’hui, il y a toujours des difficultés. On rencontre des personnes qui pensent que ce que nous faisons n’est pas encore une priorité dans un pays qui vit une instabilité ou encore d’autres qui pensent que c’est un métier pas très sérieux. Mais le plus important, je pense, c’est de croire en ce que l’on fait. Ma plus grande satisfaction c’est d’avoir constaté que bien au contraire, nous répondons à un besoin : la population veut s’exprimer et s’exprimer est aussi une forme de thérapie. Ajouter à cela, une chose est certaine, les films documentaires sont indispensables dans notre société. Ils permettent de véhiculer des messages de paix et de cohésion.  Dans un pays comme la République centrafricaine qui malheureusement est peu connue sur le plan international, voire aussi comme étant un pays qui jouit d’une mauvaise publicité sur le plan international, il est temps de changer le discours narratif. Ce pays n’abrite pas que des personnes mal intentionnées, mais il a surtout une population brave et résiliente. L’audiovisuel peut aussi aider à «réparer» notre identité et à reconstruire notre histoire. Et avoir compris cette importance permet de tout braver.

 

En tant que réalisatrice centrafricaine, vous avez reçu une distinction lors de la 9éme Edition du Festival international de Films de femmes MIS ME BINGA qui a eu lieu du 26 au 30 juin 2018 à Yaoundé au Cameroun. Quelles sont vos impressions six mois après avoir été distinguée ?

 

Beaucoup de fierté. Je n’ai pas de mots. Les différents prix que le film a remporté que ce soit à Dallas, à Yaoundé ou à Kinshasa, donne avant tout un sentiment d’avoir contribué à faire connaître son pays. Cela fait du bien. Et je tiens à souligner que gagner des prix n’est pas la finalité. Le plus important est que le film soit vu, qu’il fasse son chemin. A ce jour, il a été projeté dans un peu plus de dix pays, et c’est aussi un message comme pour dire « Oui on existe. Oui la République centrafricaine existe».

 

Quel est finalement le secret de votre réussite ?

 

J’ai encore beaucoup à apprendre non seulement sur mon travail mais aussi sur mon pays. Et je veux croire que garder l’esprit ouvert et les pieds sur terre offrent de belles et de meilleures opportunités.

 

Fort de cet exploit, êtes-vous tentée de dire adieu aux échecs qui rendent souvent tristes les humains ?

 

Les échecs au contraire sont aussi nécessaires. Ils permettent de mieux faire. Il ne faut pas se focaliser sur le sentiment de tristesse que cela apporte mais plutôt sur ce qui n’a pas été compris ou mal fait et avancer. Des regrets oui bien sûr j’en ai. Oui bien sûr il m’est arrivé de me dire que je veux revenir quelques années en arrière avec tout ce que je sais aujourd’hui. Mais rester dans ce mode de penser c’est rester esclave du passé et rater les occasions de corriger ou de faire mieux.

 

Dans votre film documentaire titré Zone III, vous évoquez la situation des réfugiés et de personnes déplacées à l’Aéroport Bangui M’Poko, le plus grand camp de personnes déplacées à l’époque et qui a été depuis lors démantelé. Que signifie le choix d’un tel titre ?

 

Y avoir découvert des personnes braves et résilientes, dont personne ne parlait, a été une de mes principales motivations. Il était aussi important d’immortaliser ce pan de l’histoire de notre pays. Le camp n’existe plus aujourd’hui mais ce documentaire existe et pourra démontrer bien de choses.

 

Pourriez-vous nous rappeler une ou quelques images qui vous ont marqué au début du tournage ?

 

Le fait par exemple d’avoir découvert un cinéma de fortune au sein du site. Cela a été quelque chose de très fort. Il y avait une forte envie de survie au sein de ce site de déplacés. Une forte envie d’aller de l’avant. C’était une belle leçon de vie.

 

Le pouvoir centrafricain peine à juguler l’antagonisme entre chrétiens et musulmans qui débouche le plus souvent à des violences perpétrées par des groupes armés tels que les ex-Balaka et les ex- Séléka. Y voyez-vous la fin de ces images macabres qui ternissent l’image de votre pays ?

 

Je suis optimiste que les choses vont changer. C’est un long processus. Il n’y a pas de guerre interreligieuse en Centrafrique. C’est le raccourci qui a été trouvé car peut-être que personne dans le fond ne peut vraiment expliquer la crise centrafricaine. Chaque régime qui s’est écoulé n’a pas su ni pu résoudre les vrais problèmes et bien au contraire ils ont créé de nouveaux problèmes, de nouveaux courants. On traite les symptômes mais pas les causes. Ce serait aussi dommage de dire que les choses ne changent pas. Le chantier est tellement vaste que nous voyons peu le changement mais il y a une génération qui se lève et qui fait des choses à leur petit niveau. Le chemin sera long mais un avenir meilleur est proche. Penser le contraire c’est se suicider. Il nous appartient de changer la narrative de notre pays.

 

A qui attribuerez-vous la responsabilité du conflit centrafricain ?

 

Je pense que le plus important n’est pas de trouver un responsable mais de finir par comprendre que le changement viendra de nous-mêmes et non des autres. Faire porter le chapeau aux autres empêche de se remettre en question et ne pas se remettre en question, c’est continuer dans l’erreur. Nous sommes responsables. C’est notre pays.

 

Comment se portent les femmes Centrafricaines face à cette crise politique qui perdure ?

 

En période de crise dans un pays, les femmes et les enfants sont les personnes les plus vulnérables. Ils paient le prix fort de toutes les atrocités et ajouter à cela, on leur impose aussi de souffrir en silence. De tout ce chaos, je vois et rencontre des femmes qui tentent de surmonter leur traumatisme pour s’occuper de leurs enfants et qui les éduquent loin de la haine malgré tout ce qu’elles ont vécu de difficile. Les femmes font l’économie du pays, et constituent le socle de toute une famille. Elles devraient avoir plus de reconnaissance et plus d’écoute. Toutes ces femmes qui se lèvent à 4h du matin chaque jour, vont au marché, reviennent avec un peu d’argent, portent de lourdes charges que ce soit physiques ou mentales, ce sont elles les vraies « héroïnes» qui méritent les médailles.

 

Actuellement vous jouissez d’une notoriété suffisante auprès des médias. A votre avis, le métier du cinéma ou de réalisatrice convient-il vraiment aux femmes ?

 

L’Alliance Française en partenariat avec l’Union européenne, le PNUD et d’autres partenaires ont organisé avec les Ateliers Varan de Paris, une formation de dix jeunes Centrafricains qui ont réalisé dix films documentaires. Parmi ces jeunes, de jeunes femmes réalisatrices dont une nommée Leila Thiam qui a vu son film projeté au prestigieux festival Visions du Réel à Nyon en Suisse. Il y a un énorme potentiel de talents en Centrafrique. Les femmes ont toute leur place dans toutes les activités sans aucune exception. Ce monde n’est pas une compétition entre les hommes et les femmes. Voir les choses ainsi donne de pauvres résultats. Il est important de se regarder au-delà de nos différences que ce soit en matière de sexe, de religion ou de couleur de peau. On est juste des êtres humains avec chacun nos forces et nos faiblesses et nous méritons tous le respect, être un être humain suffit déjà pour mériter ce respect. Certes ce sont des mots qui peuvent sonner trop idéalistes ou irréalistes, mais pourquoi ce ne serait pas possible ? Ce sont nos actes qui font la différence et non ce que nous sommes. Les titres ou encore le genre, ou l’appartenance à telle ou telle catégorie, tout ceci est superflu.

 

Pour finir quel est votre dernier mot ?

 

Mon dernier mot va à l’endroit de tous ceux qui ont apporté leur petite pierre aux projets qui ont été réalisés : je tiens à les remercier du fond du cœur. Saisir une main tendue, bénéficier d’une oreille attentive, d’un coup de pouce, de la confiance d’autrui ou encore obtenir des critiques franches et constructives sont entre autres, autant de choses qui n’ont pas de prix.

 

Propos recueillis par Ahmat Zéïdane Bichara

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