12 Juillet 2021
Rien n’augure de bon pour l’avenir du Tchad, plus de deux mois après la mort brutale du dictateur Idriss Deby Itno tombé sur le champ de bataille, selon la version officielle, malgré de zones d’ombres persistantes sur les conditions exactes de cette mort tragique dont aucune enquête crédible n’est encore lancée par l’actuel pouvoir en place, dirigé par Mahamat Idriss Deby, le fils du défunt. Après l’émoi suscité par la disparition subite du maréchal président quasi indéboulonnable, la politique la plus ignoble a repris son cours avec à la manœuvre la France, comme toujours, et ses relais locaux pour torpiller la mise en œuvre des dispositions constitutionnelles en matière d’intérim en cas de vacance de la présidence de la République pour quelque cause que ce soit ou pour empêchement définitif constaté par la Cour suprême. Ce sont les articles 82 et 83 de la dernière Constitution de 2020 qui désignent comme intérimaire le Président de l’Assemblée nationale en lieu et place du président du sénat dont l’institution n’a pas encore vu le jour. Mais c’est plutôt un groupuscule de quinze officiers militaires qui se sont emparés du pouvoir mettant tous les Tchadiens devant un fait accompli. La France est l’un des premiers Etats dits démocratiques à apporter son soutien aveugle à la junte militaire sous couvert de la stabilité et de sécurité de la sous-région. D’autres Etats et institutions comme l’Union africaine feront la même lecture biaisée de la situation au Tchad.
Tous ont choisi d’appliquer la politique de l’autruche, du moins, ont préféré accorder le bénéfice du doute au Conseil militaire de transition (CMT) qui s’est doté d’une charte de transition largement contestable et contestée sur le fond et la forme. La révision de cette charte demeure d’actualité, notamment le point relatif à la durée de la période de transition fixée à 18 mois et susceptible d’être prorogée. Cet article 97 doit être débarrassé de toute ambiguïté en limitant la transition à la seule période indiquée. Il doit figurer dans la charte l’interdiction formelle à tous les membres du CMT de faire acte de candidature à la prochaine élection présidentielle, y compris les membres du gouvernement et du Conseil national de transition. On ne peut être juge et partie. La transition est une étape cruciale qu’il faut réussir. Cependant, les actes posés par le CMT et le gouvernement sont loin de rassurer l’opinion nationale et internationale, d’autant plus qu’il n’y a pas une réelle volonté de travailler pour une transition consensuelle et apaisée. Le CMT et le gouvernement de transition n’ont pas conscience que le peuple attend d’eux des résultats. Ils doivent se rendre à l’évidence que la transition est limitée dans l’espace et le temps. L’objectif principal qui leur est assigné dans un délai imparti, c’est l’organisation d’un Dialogue national inclusif et des élections libres, transparentes et inclusives. Tout le reste relève de basses manœuvres égoïstes, soit pour conserver le pouvoir, soit pour s’en mettre plein les poches.
Sinon comment comprendre que les décrets de nominations ressemblent étrangement, par leur contenu, à ceux signés de son vivant, par le feu maréchal Idriss Deby Itno, dans lesquels il privilégie d’abord le cercle familial, puis la famille politique en l’occurrence le MPS et ses alliés, et enfin les courtisans et autres griots du pouvoir. Comme le père, le fils utilise les mêmes méthodes et mêmes recettes avec les mêmes personnalités qui ont abîmé la République, détourné les deniers publics, contribué à la déchéance morale et au mal vivre-ensemble. L’insécurité, l’impunité, l’injustice, l’humiliation et l’exclusion, la gabegie sont la marque de fabrique de ces institutions de transition comme l’était, il y a peu de temps, l’ancien régime du MPS. La sobriété n’est pas la vertu la mieux partagée par le CMT et encore moins le gouvernement de transition composé de 40 membres. En cette période de vaches maigres, 17 personnes travaillent aux côtés du Premier ministre et 77 appelées à servir à la présidence de la République. 7 personnalités sont nommées au Secrétariat général du CMT.Les différents organes de l’exécutif (Présidence, Primature, CMT) comptent au total 141 fonctionnaires de l’Etat payés gracieusement par les deniers publics.
L’achat de conscience fait partie du stratagème utilisé pour coopter certaines personnalités jugées embarrassantes voire nuisibles. C’est une arme redoutable contre les voix discordantes d’où qu’elles viennent. Certains leaders de la société civile et partis politiques ont mordu à l’appât. Ils ont répondu positivement à l’appel du CMT pour une transition apaisée. Seulement leur présence est loin de freiner les ardeurs du président du CMT et du premier ministre qui font semblant de consulter mais avancent droit dans leurs bottes comme s’ils obéissent à un agenda caché. Le Comité d’organisation du Dialogue national inclusif et celui de sélection des membres du Conseil national de transition, récemment institués par décrets présidentiels, sont vivement contestés. Ils ont été créés sans consultation et leur composition ainsi que leur champ de missions sont douteux. Le regroupement Wakit Tama appelle à l’abrogation pure et simple de ces deux décrets à problème, susceptibles d’envenimer la transition. D’autres revendications doivent être prises en compte si l’on veut avoir une transition sereine et aboutie. Il s’agit de restaurer l’autorité de l’Etat, de combattre efficacement l’injustice sous toutes ses formes, d’assurer la sécurité de personnes et de biens sur toute l’étendue du territoire, de cesser avec les nominations fantaisistes et de prononcer une amnistie générale en faveur des rebelles et réfugiés politiques. Ce sont là, entre autres, les conditions nécessaires pour restaurer un climat de confiance et ouvrir la voie au dialogue national franc et sincère gage d’une vraie réconciliation nationale. Le CMT et toutes les parties prenantes de la transition sont placés devant leurs responsabilités morales face à l’histoire
Moussa S. Yowanga