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REGARDS D'AFRICAINS DE FRANCE

Informer sans travestir ni déformer, c'est notre combat !

Tchad : « Si le CMT reste longtemps au pouvoir, il versera du sang plus que ceux qui l’ont précédé », estime Romadoumngar Félix Nialbé

Propos recueillis  par Déli Sainzoumi Nestor pour Eclairages

Les derniers événements malheureux, avec son corollaire de morts et de blessés, survenus dans les provinces du Salamat (Am-timan), du Ouaddaï (Abéché) et du Moyen-Chari (Sandanan) n’ont pas laissé indifférent Romadoungar Félix Nialbé. L’ancien chef de file de l’opposition, aujourd’hui Conseiller national au Conseil National de Transition (CNT), dénonce l’inertie du gouvernement sur fond d’une mal gouvernance.

Déli Sainzoumi Nestor : L’actualité est marquée par le massacre du 09 février 2022, à Sandana dans le Moyen-Chari. Un éleveur de la communauté Arabe meurt des suites d’un accident de moto ; sa famille trouve aussitôt un bouc émissaire : les autochtones de Sandana. Le village est attaqué, faisant une dizaine de morts et de nombreux blessés. Est-ce un fait du hasard ? Pourquoi Sandana ?

Romadoumngar Félix Nialbé: Le problème de Sandana, à mon avis, ne relève pas du hasard. Les éleveurs ont prémédité ce qui mérite d’être qualifié de « boucherie humaine », avec la complicité des autorités judiciaires et sécuritaires locales. Quand j’étais à Sarh, le 11 janvier 2022, il y avait un problème d’occupation de terre par des éleveurs ayant défriché plus de 5 hectares, détruisant des arbres (y compris des arbres fruitiers) pour la création d’une école coranique, à l’insu du chef de village concerné et du chef de canton.  La population a réagi et une mission de l’Association de Koumogo s’est rendue sur le terrain en compagnie du sous-préfet de la localité et de quelques agents de l’environnement. Séance tenante, le sous-préfet a suspendu les travaux d’installation de l’école coranique et deux présumés auteurs ont été appréhendés pour être envoyés à Sarh. Là-bas, le Gouverneur a ordonné qu’ils soient relaxés sous prétexte qu’ils sont des marabouts ! En 2019, le gouverneur sortant et un ex commandant de Compagnie de la gendarmerie ont mal géré un cas d’actes ignobles survenus dans la région. Les auteurs des actes de barbarie de 2019 n’ont pas répondu de leurs actes. Depuis lors, ils se considèrent comme des intouchables, des hommes plus supérieurs que les populations locales. C’est l’ensemble de ces actes d’impunité qui ont abouti au drame de Sandana. Les éleveurs n’avaient plus d’égards pour les cultivateurs et d’autres villageois de la localité. Le drame de Sandana n’est donc pas un hasard, c’est un acte prémédité.

En janvier 2022, à Abéché, dans la province du Ouaddaï, les Forces de l’ordre ont réprimé la population qui s’opposait à la tentative d’intronisation d’un nouveau chef de canton, faisant une dizaine de morts et plus de quatre-vingts blessés. Y a-t-il une explication à donner quand l’Etat retourne les armes contre les citoyens ?

Ce qui s’est passé à Abéché est assez écœurant. J’ai appris la nouvelle autour d’une table avec des amis étrangers. Ces derniers ont estimé que le Tchad est le pays le plus fou de la planète. Sinon, les forces de l’ordre ne devraient pas tirer sur une population qui manifeste. Au Tchad comme partout ailleurs, nous avons du respect pour les cimetières. Comment comprendre que l’armée en vienne à tirer sur une population déjà endeuillée, et se trouvant dans un cimetière ? Ce sont les militaires qui ont tué quelques citoyens et lorsque la population se rend au cimetière pour procéder aux enterrements, la même armée vient encore tirer sur eux ! Comment on peut expliquer cela ? A Abéché, tout est parti de la gestion de la chefferie traditionnelle. Dans un Etat de droit, l’Etat n’a rien à voir dans la gestion de la chefferie traditionnelle. Les règles sont déjà édictées ; il appartient à la communauté de faire usager de ces règles pour réguler la vie de la communauté. C’est seulement en cas de non respect des règles qui régissent l’organisation de la chefferie traditionnelle que l’Etat peut intervenir. Aussi, faut-il le dire, l’Etat n’a pas le droit de créer des cantons tous azimuts, l’Etat ne doit pas désigner des chefs cantons, des sultans comme il veut. Ce qui se passe correspond à la volonté de tuer simplement le peuple. Ce qui vient de se passer à Abéché ne peut se passer qu’au Tchad. Je condamne cela. Que le gouvernement prenne ses responsabilités, de manière à ce que les gens puissent vivre en paix.

S’agissant des autorités coutumières et traditionnelles et de leur place dans la vie politique du Tchad. Ont-elles encore aujourd’hui la place qu’elles méritent lorsqu’il s’agit des grandes décisions qui engagent l’avenir du pays ?

Depuis trente ans, on nous a habitué à une navigation à vue. Rien n’est structuré, rien n’est défini, même sur le plan économique, l’administration n’existe pas. A l’Assemblée nationale, nous avons toujours dénoncé la création des cantons, des sous-préfectures, etc. Tout se fait à la tête du client et dans le non respect des populations. Ce système de gouvernance doit être totalement modifié.  Mais si nous continuons de cette manière, nous risquons d’arriver à une guerre civile sans nous en rendre compte. Voyez ce qui s’est passé hier à Sandana. Pour la première fois en pays Sara, les femmes sont descendues nues dans la rue, pour empêcher à la mission gouvernementale de quitter les lieux sans avoir répondu à leurs doléances. C’est inédit ! L’attitude des femmes est l’expression d’un ras-le-bol par rapport aux abus du gouvernement.

Depuis trente ans, le Tchad s’est plongé dans des conflits intercommunautaires. Du nord au Sud, de l’Est à l’Ouest, la cohabitation entre les communautés ethniques est mise à rude épreuve. En 2021, l’ont a enregistré une vingtaine d’incidents ayant occasionné plus de 300 morts, des centaines de blessés et des milliers de déplacés internes. Mais le gouvernement ne s’est jamais penché sur cette question afin d’attaquer le mal à la racine. S’agit-il d’un silence complice ? Peut-on affirmer que les conflits intercommunautaires profitent à une tierce ?

Les conflits entre les communautés ne profitent à personne ; ça endeuille pour rien. On le sait depuis, pour régner, le gouvernement divise ; il divise pour mieux régner. En quoi nos morts d’hommes peuvent-elles profiter à quelqu’un ? Il faut toutefois reconnaître que le gouvernement a une grande part de responsabilité dans tous les problèmes suscités. Au Salamat par exemple, on a constaté que certaines communautés sont armées pour tuer ; dans d’autres localités, il y a eu des pillages organisés par certains militaires. Aujourd’hui dans quelques localités, il y a des coupeurs de route, des voleurs de grand chemin qui se révèlent être des gendarmes, des militaires en service. Tout cela arrive à cause de la mal gouvernance. Tenant compte de tout cela, je dis qu’il est temps de changer totalement cette manière de gouverner.

L’actualité, c’est aussi les préparatifs du Dialogue national inclusif. Mais compte tenu de l’insécurité généralisée, pensez-vous que les populations du Tchad profond peuvent encore comprendre les enjeux de ce dialogue pour l’édification d’un nouveau Tchad ?

Bien.Le dialogue national inclusif est souhaité par toute la classe politique tchadienne. Il faudrait que nous ayons un cadre pour parler sincèrement de l’avenir de notre pays. Aujourd’hui, le Tchad est un pays sans avenir. Car l’avenir d’un pays, c’est l’école. Au Tchad, l’école n’existe pas ; nous sommes dans un pays sans avenir. D’ici à 10 ans, le Tchad sera un pays des analphabètes. A ce stade là, nous aurions besoins des coopérants pour maintenir notre administration publique. Pour éviter que cela n’arrive, il faut que nous parlions, à travers un dialogue sincère. Mais s’il faut aller au dialogue avec l’idée de conserver le pouvoir comme cela se fait actuellement, je pense que le Tchad n’aura toujours pas sa place dans le concert des nations. Je suis pessimiste.

Aujourd’hui, beaucoup de débats s’organisent autour de la forme de l’Etat pour le Tchad que nous voulons. Quel est, selon le parti URD, la forme de l’Etat qui correspondrait au Tchad de demain ?

L’URD est un parti politique d’obédience fédéraliste, à sa création. Mais pendant la Conférence nationale souveraine de 1993, nous avons modifié cette disposition, parce que nous avons constaté que d’un Etat unitaire directement à un Etat fédéral, sans une préparation, risque de ne pas arranger le pays. Cela peut même conduire à une guerre civile. Nous avons fait un revirement pour un Etat unitaire fortement décentralisé pouvant aboutir à la fédération. Mais aujourd’hui, ce n’est forcement pas un problème de programme politique d’un parti politique. La fédération est une nécessité parce que nous avons eu l’exemple de gestion de l’Etat unitaire, de Ngarta Tombalbaye en passant par Félix Malloum, Goukouni Weddeye, Hissein Habré, Idriss Déby Itno et aujourd’hui Mahamat Idriss Déby Itno. 60 ans d’Etat unitaire qui n’a évolué que de mal en pis : la mauvaise gestion, les mauvaises pratiques, etc. Il faudrait bien que nous changions la forme de l’Etat pour nous permettre de rompre à mon avis avec ce cycle infernal de rebellions et accéder à un développement durable. Avec la fédération, chaque Etat peut avoir sa loi et son mode de gouvernance. Il faudrait qu’on arrive à une fédération, car tout ce qui se passe actuellement fait très mal. L’Etat unitaire a montré ses limites, il faudra passer à une autre expérience.

Des rumeurs font état de recrutements de jeunes et de l’existence d’un camp de formation des combattants à Reni, dans le fief de l’URD. En savez-vous quelque chose ?

Je ne connais rien de ce qui s’est passé. Mais j’ai appris comme vous et c’est une barbarie. Car, dans un pays normal, on ne peut pas sélectionner des jeunes d’une seule communauté pour les former dans le cadre d’une armée nationale. Pour moi, ce n’était qu’une rébellion. L’Etat a démantelé ce camp, certes. Il devrait sévir, car c’est une rébellion qui couvait. Ça aussi, c’est la mal gouvernance. Ma crainte actuellement, c’est que les jeunes qui sont passés par ce camp, ne sont plus ce qu’ils étaient. On leur a inculqué des idées pendant les quelques jours de formation ; ils constituent dès lors un danger pour la société. Ils sont à surveiller de près.

L’ex chef de file de l’opposition démocratique, Romadoumngar Félix Nialbé, pense-t-il qu’au bout de cette transition, le CMT pourra restaurer l’ordre Constitutionnel sans que le sang ne soit versé ? Comment ?

Le CMT a déjà versé du sang à Amtiman, à Abéché, à Sandana et un peu partout, même à N’Djaména lors des manifestations. Le CMT doit vite finir sa mission, s’il reste longtemps, il versera du sang plus que les autres qui l’ont précédé. Cette transition de 18 mois, c’est peut-être peu, ça prend fin en octobre, c’est une échéance à laquelle on ne peut pas organiser des élections au Tchad, mais peut-être prolonger la transition de 3 voire 4 mois pour leur permettre d’organiser les élections afin de passer le flambeau à un chef d’Etat élu.

L’URD se prépare pour les élections futures….

Mais, l’URD, c’est un parti politique créé pour conquérir le pouvoir ! L’URD n’est pas un parti figurant sur la scène politique tchadienne car c’est le seul parti politique à avoir mis en ballotage Idriss Deby Itno. N’en déplaise à ceux qui ne veulent pas entendre.

Collaboration Journal tchadien Eclairages/ Regards d’Africains de France

 

 

 

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